Comment commencer cet article ?
Je suis assise à une des tables de Cézam Bio, l'épicerie bio vrac café-restaurant de ma ville que j’aime tant. Je suis en mode "Pomodoro" le casque anti-bruit sur les oreilles. Myriam est en train de me préparer une noisette.
Je sèche.
On est le mardi 07 février. Je dois vous faire des retours sur cette résidence chez moi qui s'est terminée plus ou moins ce matin.
La vérité est que j'aurais voulu que cette résidence ne se termine jamais.
Que l'on reste Asch, Scarlett, Julien et moi plus longtemps pour travailler ensemble ou chacun-e dans notre coin.
Parler. Rire. Se soutenir. Avoir une épaule où poser sa tête quand notre coeur est lourd.
Je réfléchis déjà à en organiser une nouvelle au printemps.
Dans cet article, je vous parlerai des résultats concrets, du travail accompli. Les avantages et les inconvénients d’une résidence chez soi.
Dans un prochain article, je vous parlerai des problèmes de santé auditive et mentale que cette résidence m'a révélé à nouveau.
Les résidences sont de sacrées expériences
En 2007, avec les membres du Kilimanjaro Darkjazz Ensemble, nous avions loué une maison perdue dans la forêt des Ardennes Belges pour une résidence de création. Nous avons commencé à composer l’album Here Be Dragons.
En 2014, avec mon ancien duo Charlotte&Magic, ma toute 1ère résidence scénique coachée sur 3 jours d'abord par Cyrille Champagne puis par Benjamin Georjon à l'Observatoire de Cergy dans le cadre de l'accompagnement du Combo95 avait été profondément transformatrice.
En 2018, j’ai passé une semaine chez Nahash à Montréal pour improviser de l’ambient. Les 1ères incantations de VoxAxoV sont nées à ce moment-là.
La résidence scénique pour VoxAxoV en juin 2021 a été aussi fantastique... VoxAxoV était accompagné-e de Mathild Empereur aux machines. Nous avons été coaché-es par Gabriel Debray. Quelques semaines après cette résidence, Les Capsules sont venues au Théâtre du Cormier filmer 3 extraits du live.
Par le passé, j'ai déjà répété et enregistré des albums pour Charlotte&Magic dans ma maison. J'ai déjà fait de longues sessions de préparation de concert avec différents projets.
Ces moments étaient des “résidences” mais je n'ai jamais eu à l'esprit de les appeler, alors que j’ai déjà prêté ma maison pour les “résidences” des artistes Arbas, Club Célest et Korin F. !!
J’ai dû ressentir un besoin fort de planifier ce moment de travail intense, de vous en parler, de le marquer d’une pierre blanche.
Au delà du travail accompli - avancer sur le projet avec Julien Fallecker “Les Temps Longs”, j'ai compris des choses sur moi, sur mes Adelphes, ma santé, ma manière de créer et de travailler.
Et si créer était aussi un moyen de se comprendre pour avancer au mieux ?
Avancement des projets de chacun-e
Asch…
a beaucoup dessiné. Et iel a brodé un poème (je suis fan). C’est très long à réaliser. C'est si reposant de l'observer percer le papier avec une aiguille, entendre le fil s'immiscer dans le papier et découvrir au fil des jours le poème.
Scarlett…
a fini son remix pour Onelight (artiste avec qui nous partageons la scène le 3 mars pour la soirée Couvre x Chefs à l'Alimentation Générale à Paris). Nous avons été béni-es par son humour si fin, ses talents de cuisinière et la rapidité avec laquelle elle met en route la machine à café. Elle m'a aussi admirablement coachée pour mes enregistrements de piano.
Julien Fallecker…
a avancé sur le montage d'une des pièces des Temps Longs, en fait c'est moi qui bloque le processus 😩 (hyperacousie).
Il a aussi tourné un film en Super 8 avec l'aide de Asch sur ses machines modulaires.
Car Julien a surtout "Dudulé" à fond. Il nous a enveloppé de ses sons farfadiques entre mes sessions de pianos. Desfois, nous jouions en même temps chacun-e dans une pièce. Joyeuse cacophonie.
Pour ma part…
j'ai enregistré des pianos pour une pièce des Temps Longs.
Scarlett a été d'une immense aide. Le 1er soir, à peine arrivée à la maison, elle m'a donné des conseils. C'était très drôle. Il m'arrive souvent de ne pas comprendre certaine explications à l'oral. Quand on m'épelle des mots par exemple.
- Allez Chacha “noire croche croche noire noire blanche” !
- Euh, hein, attend what?
Alors que je connais (un peu) le solfège, que je sais de quoi elle parle, que je comprend “normalement”.
Il suffisait qu'elle me montre sur le piano et hop, le tour était joué.
Puis le dimanche soir, alors que Scarlett souffrait du Sunday Blues, elle s'est traînée jusqu'au canapé de mon salon durant mes enregistrements de pian. Emmitouflée sous une couette, elle m'a dirigé, rassuré ("allez fais une pause, étire toi, respire"), conseillé pour mon jeu. Elle m'a fait rire, encore et toujours.
Elle est partie, le lendemain. J'ai terminé les enregistrements le soir même, seul-e, rassuré-e. Scarlett était encore présente sans être là.
Les résidences nous révèlent
Avant le commencement de cette résidence, je me voyais enregistrer les pianos pour deux pièces des Temps Longs, les monter, rajouter des voix transformées et travailler sur un autre projet.
Comme d’habitude, je prévoyais d’en faire trop. Comme je suis habituée à cette tendance, je n’en fais jamais tout un plat en ressentant de l’échec ou de la culpabilité.
Mais pour cette fois-ci, j’avais oublié deux données fondamentales de ma vie au-delà du “je veux toujours en faire trop”. Je souffre d'hyperacousie à l'oreille droite et d'une dépression chronique.
J'avais bien dit que le principal c'était d'avancer !! Alors ça va. Maintenant je repose mon oreille et je vous écris…
Les avantages d'une résidence chez soi
Vivre au gré de son horloge interne
Comme il n'y a pas d'équipe extérieure et qu'on est chez soi, on vit comme on l'entend en terme d'horaire. Pas de réveil. Pas d'heure limite à respecter. Pour moi qui souffre d'insomnies, c'est royal.
On peut aussi se permettre une balade. Non pas pour "s'aérer" en mode "on en a besoin après tant de travail" mais plutôt "on en a envie pour s'inspirer".
Vivre à son rythme et se permettre des temps d'inspiration peut aussi se faire en résidence de création dans un lieu dont on a les clefs et dans lequel on est libre de faire ce qu'on veut.
Chose essentielle pour moi : les repas ! Cétait fluide et satisfaisant pour tout le monde. Desfois nous nous retrouvions toustes les quatre (miam la raclette vegan). Desfois c'était à deux, à trois, en solo...
On reste dans son cocon
Ma maison est mon refuge. Je ne dors pas bien ailleurs. J’ai de plus en plus de mal avec les transports en commun. La conduite est problématique pour moi en ce moment.
La procrastination et le repos se vivent mieux
Grâce à cette phrase de
"la procrastination est ton amie", l'observation de ma personne et de mes manières de fonctionner, j'ai compris que la procrastination était inévitable et nécessaire.Ma vie artistique a été marquée de moments de procrastination intense et cela ne m'a pas empêché d'accomplir ce que j'ai accompli.
Procrastiner en résidence chez soi nous permet de ne pas culpabiliser de perdre du temps ou de l'argent. On accepte plus facilement ces temps de vides nécessaire à la création et au repos.
Je me souviens de ces moments de résidence scénique après le repas du midi où je n'avais qu'une envie : faire une sieste.
Travailler en flux tendu à en être épuisé-e HS le soir, pour recommencer le lendemain, ça peut être compliqué voir impossible pour certain-es personnes. Nous ne sommes pas a égalité en terme d’énergie et de rechargement de batterie.
Même si on a l'impression que le temps se délite et qu'on abat moins de travail, les choses se font, avec une énergie douce.
On connaît les lieux
Aussi bien pour le travail artistique que pour la logistique, on sait où tout se trouve.
Pas besoin de demander à TomTom l'ingé son de la salle si on peut avoir un pied de micro en plus. On sait comment marche la machine à laver. On sait où trouver du liquide à cigarette le dimanche dans la ville.
On a pas peur de tout casser
Dois-je vous faire un dessin ? Allez, ça nous est toustes arrivé, alors juste pour le fun :
Chez soi, pas d'histoire d’assiettes brisés dans le AirBnB loué pour la résidence, pas de la latte de lit de cassée dans le logement de la salle.
On ne pètera pas le pied de synthé de la salle mais le nôtre. Souvent la salle passe l'éponge donc ça nous coûte moins cher, mais certaines personnes (dont moi) se transforment en masse de culpabilité dans ces cas-là.
On n'a pas à sociabiliser avec des gens qu’on ne connaît pas
Comme les membres de l’équipe de la salle ou les proprios de la maison qu’on loue.
Sociabiliser n'est pas foncièrement un problème, c'est même l'essence de la vie humaine.
Cela demande tout de même un effort.
Ça n'est pas simple de rencontrer une équipe inconnue avec qui l'on va étroitement collaborer pendant plusieurs jours. Ça génère même chez certain-es du stress.
Je ne dis pas que ça ne se passe jamais mal avec sa propre équipe, lol, mais au moins, on sait plus ou moins comment gérer les tensions.
Mention spéciale si on se retrouve pour une résidence scénique dans une SMAC (Salle de Musiques Actuelles) dont l'équipe technique n'est constituée que de mecs cis blancs hétéros valides (c’est malheureusement encore souvent le cas). Je me dis souvent "oh j'espère qu'il y aura pas que des HSBC".
Ça peut très bien se passer. Mais ça n'est pas toujours rose.
Si ce que j'écris vous offusque, tant pis. Si cela vous étonne et que vous aimeriez en savoir plus : https://cnm.fr/egalite-femmes-hommes/.
Heureusement, les temps changent et de nombreuses initiatives sont faites pour former les équipes à l'accueil “safe” des artistes en concert et en résidence.
On garde nos habitudes culinaires
Pour certaines personnes, dont moi, cela est très important.
J’aime manger sain, sans gâchis alimentaire, sans trop de gluten, végétarien voir végétalien (même si je fais des écarts), beaucoup de fruits secs de graines et de bidules dans le genre, pas de snacks ou fast-food, j’aime boire du bon café et du bon thé (avec bonté)... Il faut aussi que je ne sois pas tenté-e par l’alcool.
J'embarque souvent ma nourriture quand je vais en résidence ailleurs.
Même s'il est vrai que la surprise des découvertes culinaires est parfois géniale, en matière de nourriture, chez soi, on ne risque rien.
On garde nos animaux de compagnie avec nous
Je ne considère pas les animaux de compagnie comme des humain-es dont on a besoin quelque fois de s'éloigner en mode "j’ai besoin de temps pour prendre du recul", "il faut se retrouver avec soi-même".
Mon chat Orion kiffe les gens, les câlins et n'est pas trop pot de colle. Il ne grimpe pas sur le piano ou l'ordinateur comme certain-es de ses congénères. Il faisait partie de la famille créative. Julien l'a samplé avec l'une de ses Dudules (forcément).
Pas besoin de lui trouver un-e gardien-ne.
Les inconvénients d'une résidence chez soi
Les toiles d'araignée et les fantômes
Travailler de chez soi est souvent le meilleur moyen d'être distrait-e par ce fichu rideau de douche qui tombe sans arrêt ou le voisin qui nous tient la jambe.
Il y a aussi tous les "fantômes" qui peuplent nos demeures et ressurgissent en période d’émotions fortes ou de travail intense. La création est aussi une catharsis, une plongée en soi, une introspection qui font parfois ressurgir des démons.
Être dans un endroit neutre peut être certes déstabilisant mais nous aide à nous couper de nos problèmes.
Chez soi, on ne fait pas autant le ménage que chez les autres
Bien entendu, ça dépend des gens. Mais tout de même, ailleurs que chez soi, on fait beaucoup plus attention à ne pas casser des verres, à ne pas entasser la vaisselle sale, à passer le balai etc.
Une vraie coupure ?
Chez soi, il y a notre coin musique mais aussi notre coin administratif. Les factures d'eau arrivent toujours au courrier. On ne déplacera pas forcément notre RDV chez le médecin qui tombe pile pendant la résidence.
J'y penserai pour la prochaine fois :
- ne pas relever le courrier,
- recouvrir d'un drap tous mes dossiers administratifs,
- repousser le RDV avec ma thérapeute EMDR.
Si vous habitez dans un très petit lieu et que vous décidez de vous enfermer chez vous pour un moment de création ↓↓
Prévoyez de l’inhabituel dans votre quotidien : manger dehors, resto ou en pic nic si on ne roule pas sur l’or. S'il pleut des cordes, on peut manger chez soi à une autre place que d'habitude, pourquoi pas par terre si votre appartement est vraiment riquiqui 😂 ?
Il y a détails peu onéreux qui peuvent donner une impression de changement. Changer les objets de place, modifier la couleur de l'ampoule de vos lampes (le bleu favorise la concentration par son pouvoir relaxant paraît-il), acheter une nouvelle housse de couette (depuis le temps que vous deviez le faire et ça servira toujours)...
Ne pas payer nous rend moins discipliné-e
Je déteste ce mot "discipliné-e" mais il est vrai que si on paye pour louer une maison isolée en forêt, on ne sera pas tenté-e d'aller à un date.
Comme la durée de la résidence chez soi peut être mouvante, on remet au lendemain, en se disant “tant pis je ferais plus tard les pianos que je n’ai pas enregistré, je suis trop fatigué-e". On ne tire pas sur la corde, ce qui est essentiel, mais on en fait moins.
On continue notre vie habituelle mais plus concentré-e. On est en résidence mais moins sérieusement.
Le monde extérieur nous atteint plus
Vu que le temps est moins compté, on s'enferme moins dans une bulle. Les horaires distendus nous amènent peut-être à plus consulter les réseaux sociaux.
Par conséquent, on est plus au courant de toutes les horreurs du monde ou l’on va ressentir le FOMO (fear of missing out : anxiété de ratage).
Au final…
À chaque avantage correspond plus ou moins un inconvénient. Et vice versa.
Je pourrais dresser le même tableau avantages / inconvénients en imaginant une "vraie" résidence scénique chez moi.
Oui. J'imagine que j'habite dans une salle de concert. L'équipe super sympa vit à mon rythme et est super bien payée. Tout le monde est heureuxse. La nourriture est bio et saine et locale et gratuite. C’est aussi un refuge pour animaux. Et une licorne volante nous fait faire des balades dans le ciel pour nous aérer l'esprit.
Comme je l’ai dit en intro, ce que je retiens de cette expérience, c'est qu'elle m'a rappelé l'importance de prendre en compte ma santé mentale et mon hyperacousie dans l'organisation de ces moments intenses de travail.
La tranquillité d'esprit dans le travail a un prix
On en vient encore au constat qui fait mal : pour une résidence au top, il faut aussi les bons moyens financiers, physiques, psychiques, logistiques.
Si vous avez l'impression de ramer à "trouver des résidences", de ne pas en faire assez ou d'en faire trop et que cela vous épuise, ce n'est pas de votre faute.
C'est peut-être la manière d'envisager les résidences et le degré de perfectionnisme qu’on demande aux artistes indé-es ou aux projets émergents dans le milieu des musiques actuelles en France qui ne sont pas sains.
Surtout que tant qu’on a pas une production qui finance la résidence, c’est à l’artiste de sortir les biffetons et de se débrouiller…
Il y a d'autres manières de faire. Celle que vous trouverez, faute de mieux.
Vous n'avez pas à être parfait-es sur scène grâce à 3 résidences coachées dans la bête de SMAC de votre région si votre groupe est monté depuis 6 mois.
Enchaîner les concerts, ça donne aussi une expérience.
Se faire coaché-e dans une salle de répétition, c’est aussi faisable.
Ne pas avoir d’ingé lumière au début, c’est aussi ok.
La résidence de création perdue dans la forêt, c'est une magnifique expérience et c'est super, mais ça a un coût. Cela se prépare en amont et demande beaucoup d'efforts logistiques. Je l'ai déjà fait : déplacer tout son home studio, c'est chiant, avouons-le.
Si vous avez une vie de famille bien remplie et un groupe / équipe nombreuses, ça va être difficile de trouver des dates idéales pour toustes.
Si vous souffrez d'un ou de plusieurs handicaps, la préparation et même l'accueil à une résidence seront plus compliqués (voir impossibles dans certains lieux 😡).
Plus votre projet est ambitieux, plus ce sera coûteux, long et compliqué à organiser, alors que l'on demande aux artistes de "sortir du lot" (avec des scénographies particulières par exemple).
Faites comme vous pouvez avec ce que vous avez.
Ne regardez pas les résidences des autres comme celles qu’il vous faut absolument.
La résidence qui vous convient viendra à vous en temps voulu si vous y travaillez, sans vous épuiser.
Je vous dis à très vite pour l'épisode #2 des retours sur cette résidence chez moi !
En attendant, on tient le cap 💪