Comment je n'ai pas survécu au MaMA #1
Parlons du problème de l'alcool dans le milieu de la musique
Le titre de cet article fait référence à celui des trois tout 1ers articles publiés sur ce blog.
Je donnais des conseils pour survivre à des évènements orientés “business de la musique”. Ces évènements sont (très) souvent anxiogènes, chers, fatigants voir impressionnants etc. Comme le MaMA Festival et Convention.
Tu avais l’air ravi et requinqué professionnellement pourtant, pendant et après le MaMA. Pourquoi n’as-tu donc pas survécu au MaMA, Charlotte ?
À cause de l’alcool. Je suis restée sobre toute la semaine du Festival. Mais le dernier soir… catastrophe.
Si certain-es d’entre vous tentent la sobriété ou la modération de leur consommation avec parfois des rechutes : vous devez connaître ces moments de relâchement suivis de lendemains atroces.
Notre corps n’a plus autant l’habitude de boire, mais une fois le filet de sécurité retiré, on carbure car nos habitudes de consommation, elles, n’ont pas changé. Les gueules de bois sont pires qu’avant. Au mal-être physique et psychique s’ajoute la culpabilité de la rechute.
Mon samedi post MaMA a été si difficile que j’ai appelé mon compagnon à l’aide. Nous avons dû rentré-es en UBER tellement j’étais mal.
Je veux dorénavant être radicalement honnête avec ce problème, histoire de marquer d’une pierre blanche ma décision de (tenter de) rester sobre.
Cela m’aidera peut-être. Cela aidera les autres je l’espère.
J’espère surtout que cette pierre blanche participera à son échelle à la construction d’une réelle réflexion sur les travers de l’alcool dans le milieu de la musique.
Pourquoi veux-tu parler du problème de l’alcool dans le milieu de la musique maintenant ?
Je craignais qu’on pense que je juge celles et ceux qui boivent ou que je me sois transformée en police des moeurs.
Sachez que je ne juge personne car j’ai appris à ne plus me juger.
Puis je me suis souvenue pourquoi je voulais parler : j’ai un souci avec l’alcool et le fait qu’il coule à flot dans mon milieu est un obstacle important à mon épanouissement professionnel.
En gros : je suis concernée donc je parle.
J’attendais aussi le bon moment.
Et.
Tout bientôt, le Printemps de Bourges a lieu.
Et
on
le
sait.
Les apéros pros et les commandes au bar vont s’enchaîner.
Comme à chaque fois, les storys Instagram avec les éco-cups à l’effigie du festival vont pulluler.
- Tu vas à l’apéro SACEN ?
- Non à celui de la SCTT plutôt…
- Punaise à celui de l’ABAMI hier, y’avait plus rien au bout de 5 minutes chrono…
- Et demain y’a quoi ?
- On est graves !!
Rires.
- Allez, je t’offre une bière !
- Ah je veux bien tiens, car le concert là, ça casse pas trois pattes à un canard…
Une heure trente plus tard, TrucMuche et Machin-e qui se retrouvent à chaque Beautemps de Courges depuis plus de 20ans bientôt ont déjà entamé leur 3èmes pintes au bar en se remémorant de comment c’était avant internet.
- On a le droit à combien d’tickets boisson ?
- Tellement peu, j’te jure. Y’aura p’t’être du vin au repas non ? Y’a pas des bières dans l’frigo là ?
- Non mais Dom m’a dit qu’iel nous rapport’rait une bouteille après son RDV avec Cooleps Records.
Sans trop montrer son stress, le groupe, finaliste des Saillies du Bontemps de Courges, poireaute sagement dans les loges en buvant des bières avec un autre groupe finaliste.
- Non mais j’hallucine, les mecs ils veulent, je cite “du vin rouge sans sulfite et local en quantité suffisante pour abreuver de honnêtes hommes, une douzaine de bières artisanales sans gluten pour éviter que les ventres ne gonflent trop et une bouteille de Grey Goose pour soutenir la production française”. Et, ils s’croient drôles ? ahah Ils veulent pas 100 balles et un mars non plus ?
Rires à la régie. Camille prend une photo du rider de Polygone et l’enregistre dans son album “Demandes WTF”.
Quoi, tu bois pas ? T’es enceinte ?
Trucmuche rigole. Machine est fatiguée de devoir encore une fois expliquer.
Quoi, tu bois pas ? Ça va pas ?
demande Bidule d’une voix mi-douce mi-inquiète.
Je pourrais continuer à vous en citer des tas de phrases dans ce genre. Elles sont très communes. Je les ai entendu, je les ai dites.
Je les entrevois aujourd’hui d’une toute autre manière.
Charlotte, qu’est-ce que ça fait concrètement de tenter d’arrêter l’alcool ou de te modérer quand tu vas à un concert ou un apéro pro ?
Ça fait que je vis un sacerdoce. Dans ces moments-là, j’aimerais travailler dans une crèche.
Ce sont des stratégies d’évitement. Des justifications. Des dialogues ou des marchandages intérieurs sans fin. Des peurs : de boire, de rater des occasions de rencontres, de boire un peu et de ne pas réussir à se modérer, de ne pas être détendu-e, de s’ennuyer, de passer pour un-e relou, d’être moins « dedans », de ne pas tenir, de ne pas avoir de choix, de s’endormir. Etc.
Soit dit en passant, les moments des concerts se passent très bien, c’est « autour » des concerts que c’est corsé.
Si vous vous dites « autant reprendre si c’est si dur, faut savoir lol on a rien sans rien », oui c’est très très dur mais ce que j’ai gagné et gagne en bien-être sur le long terme est si bénéfique… et on ne devrait pas souffrir autant pour simplement « aller mieux ». Les addictions quoi…
Ah oui, c’est chaud, j’avoue… Alors on fait quoi ?
On en parle
Le milieu de la musique commence enfin à réfléchir et à trouver des solutions aux problèmes de santé mentale et d’addictions.
Mais selon moi, vis-à-vis de l’alcool, ça n’est pas encore l’énorme coup de pied à la fourmilière dont beaucoup de personnes pourraient bénéficier.
Je ne pense pas que ce soit pour la sauvegarde des fourmis qu’on tarde tant à le donner ce coup de pied.
Est-ce car l’alcool représente une masse si conséquente d’apports financiers pour les salles de concerts, les festivals etc ? Loin de moins l’idée de les fragiliser encore plus.
Est-ce car les marques d’alcool sont des sponsors de taille pour les évènements quand ils ne créent pas des tremplins et font la vie de notre milieu ? L’interdépendance est bien souvent l’un des problèmes clefs quand il s’agit de changer radicalement les choses.
Est-ce car avec moins d’alcool ou sans, on tomberait de haut et réaliserait le stress que l’on subit au jour le jour dans ce milieu ?
Est-ce car la sobriété lèverait un voile, l’alcool étant pour beaucoup un anti-dépresseur, un anxiolitique, un somnifère, un énergisant, un exta, de la MDMA etc. en vente libre ?
Est-ce à cause de la romantisation ? Est-ce car nous sommes en France, pays du vin et de l’apéro ? Est-ce le sacro-saint esprit convivial ? Les horaires tardifs ?
Je rêve d’une conférence au MaMA sur le sujet de l’alcoolisme, de campagnes de sensibilisation orientées sur les us et coutumes de notre milieu, d’une cellule spéciale “alcool” chez Audiens…
Je rêve que l’on soit mieux aidé-e à ce sujet et que tout le monde s’y mette.
On joue moins sur l’alcoolisme des gens pour “attirer”, “séduire” ou “rassembler”
Rien que le terme de “apéro pro” pose problème selon moi. Qui dit apéro dit alcool. Me dites pas le contraire les zozos. Dans nos têtes, l’apéro c’est la détente. Un apéro pro reste un moment professionnel, mais le fait que ce soit un apéro - donc qu’il y ait de l’alcool (et des chips, ok, si vous voulez), rend la chose moins formelle. Je me rends compte en écrivant ces mots que cette formule est tarabiscotée quand même, non ?
On célèbre les réussites ou les fins d’évènements avec du champagne. Avec les tickets d’entrée, les salles offrent une conso (d’alcool) (ne me dites pas que je peux très bien prendre un soft gratuit les zozos cf. paragraphe suivant). On offre des tournées.
Je me souviens d’une conférence à destination des artistes émergent-es où quelqu’un-e avait conseillé « d’offrir des verres aux pros » pour réussir à les aborder. C’est un conseil que j’ai souvent entendu, je crois même l’avoir dit.
On offre un plus grand choix de softs
C’est essentiel.
Les jus de fruits et les sodas, c’est juste nul comme uniques autres choix car boire du très sucré à 19h ça n’est pas du goût de tout le monde. On est pas à un goûter d’anniversaire. Ou alors fournissez les Haribos avec les chips.
Au delà des bières sans alcools et des virgins cocktails, il y a pleins de boissons à proposer. Jus de légumes. Ginger Beer. Club Maté. Thé / Café. Citronnades. Smoothies salés (ouais maon pote). Kombucha. Eaux Pétillantes.
Et si vous connaissez un truc type Champomy un peu meilleur, je prends.
Je rêve qu’un jour on serve des bières pression sans alcool !
Ou alors les softs seraient beaucoup moins cher que les boissons sans alcool.
Ou alors une boisson de composition saine et spécialement conçue « pour modérer sa conso » serait créée et brandée comme telle, et c’est elle qui organiserait des tremplins ou deviendrait sponsor d’événements.
Je rêve beaucoup sur ce sujet.
On pense à toustes celles et ceux qui ne boivent pas…
Les personnes qui attendent des enfants, qui sont des enfants, celles qui conduisent, sont malades, se lèvent tôt, ne boivent pas ce soir, ne boivent pas en ce moment, sont allergiques, essayent d’arrêter de fumer donc boivent moins. ETC ETC.
Ne pas boire ce soir ou toujours ne devrait pas faire de nous les aliens des soirées et ne devrait pas systématiquement amener les gens à nous poser des questions (ou nous amener à nous justifier).
ou qui tentent de moins boire
Je connais tellement de personnes qui aimeraient moins boire “dans l’idéal” ou pour des raisons de plus en plus pressantes, mais qui n’y arrivent pas.
J’ai été cette personne. La quasi sobriété me paraît aujourd’hui plus simple que la modération douloureuse.
Je connais des personnes qui boivent mais ne supportent plus les ambiances fortement alcoolisées.
Je connais des personnes qui seraient tenté-es “simplement” de boire moins, même si l’alcool n’est pas un problème pour elles.
Au final, je connais peu de personnes qui boivent beaucoup et qui sont totalement en paix avec cela.
Mais c’est hyper négatif tout ce que tu dis…
Je ne prône pas l’interdiction ou la sobriété totale, oh que non !
J’aimerais simplement que l’alcool prenne moins de place ou du moins une place plus « soft » dans notre milieu.
Je ne me rendais pas compte que je buvais beaucoup. Je buvais (beaucoup) car ça m’aidait. Je ne savais comme je le sais aujourd’hui que j’avais besoin de cette aide-là. Je ne savais pas vraiment ce qui me poussaient à boire.
L’alcool ne me paraissait pas être une addiction car c’était juste la fête, le plaisir, la détente, la danse, la musique, le bon rouge avec le bon fromage, la bière fraîche en terrasse les soirs d’été, les apéros visio durant les confinements.
Oui… et alors ?
Alors !
Nous sommes tant comme ça... À savoir mais sans savoir. À vouloir sans trop pouvoir.
Si nous sommes autant à boire autant dans notre milieu… qu’est-ce que cela raconte sur nous et nos métiers ? Sommes-nous toustes autant sous pression ou sous emprise ou simplement ridiculement bêtement habitué-es ?
Est-ce que tout le monde boit autant dans le milieu ? Les gens “pas dans le milieu” boivent-ils autant que nous ?
Comme vous pouvez le constater, je me pose beaucoup de questions sur la chose et je me sens un peu seule avec elles.
Alors si vous vous posez les mêmes, si vous avez des réponses, si cet article vous remue quelque chose… faisons-nous signe.
Allez, je retourne me faire une infusion et je vais me coucher.
Passez une bonne semaine ou un agréable Printemps de Bourges et buvez de l’eau quand même.
Santé !
Je plussoie l'alternative de la bière sans alcool dans les évènements, malheureusement il y en a que très peu. L'alcool social je déteste ça... maintenant. Il y a 10 ans je ne disais pas la même chose, mais mes lendemains étaient, comme pour toi, des non jours. Ca faisait partie du pack et c'était "cool" de dire "Je suis dans le mal parce qu'on s'en ait mis une grosse hier"...
Maintenant je ne bois pratiquement plus, ou plutôt je ne suis plus bourée, après une ou deux bières j'arrive à m'arrêter. Ce n'était pas facile au début, on est à la buvette et "allé une dernière" (qui n'est jamais la dernière...).
Tes propositions de plus de variété dans les softs proposés : mais tellement ! Le nombre de fois où je prends de la bière par défaut, car le jus de fruit et le coca, c'est trop sucré pour moi, et trop cher pour ce que c'est je trouve... Alors que ginger beer ou certaines Tourtel aromatisé hummmm ! Et ce truc de devoir boire de l'alcool tous ensemble, surtout en famille ou entre amis (moins dans mon milieu pro je trouve) c'est usant. Et impossible quand on est enceinte (si on ne veut pas se faire griller) ou en allaitement les premiers mois. On finit par être bizarre et plus questionné que le mec qui se ressert 5 fois du vin en toute détente pendant le repas. Le monde marche sur la tête ! Lobby de l'alcool trop fort en France pour une vraie campagne de santé et un vrai changement de mentalité.