[Dans ma tête] La glycine n'a jamais autant fleuri
Le concert, le handicap et autres aventures intérieures
J’utilise le format [Dans ma tête] quand je n’ai pas la possibilité de rédiger un article bien organisé. Le plan est ainsi celui que suit le flot de mes pensées. Les anachronismes sont fréquents et les fautes d’orthographe aussi.
Oh ! Comme il est complexe de vous écrire.
Ce n’est pourtant pas le temps ou l’énergie qui manquent.
J’ai d’ailleurs très envie de vous parler.
Je ne sais pas par quel bout commencer, quel angle prendre, quoi raconter ou quoi taire.
Il y a beaucoup de choses qui se bousculent dans mon esprit. Le format [Dans ma tête] de cet article est à point nommé.
•••
Début mars mon arrêt maladie commençait.
La glycine de mon jardinet, toute fière, présentait ses premiers bourgeons.
C’était il y a peu de temps et j’ai l’impression que c’était il y a un siècle.
Des difficultés, des questionnements, des choix, des révélations, des aventures.
Beaucoup de temps dans le jardinet à regarder les premières feuilles de la glycine pousser.
Je vis tout de même au ralenti et c’est ainsi que j’aimerais vivre pour toujours. C’est aussi ainsi que l’on me conseille de vivre si je veux garder le cap et l’équilibre.
Tâche compliquée dans cette société. Tâche compliquée quand on est artiste.
Avec Alexis du groupe KosmoSuna nous préparons doucement la soirée “Tame The Beast” qui aura lieu le 14 mai aux Nouveaux Sauvages à Montreuil.
Je vais afficher des posters dans Paris et aux alentours, c’est la première fois que je fais cela ! Il y a un début à tout.
Auriez-vous des lieux d’affichage à me recommander ?
Quel bonheur de préparer un évènement avec une personne d’aussi investie, inspirante et rigoureuse qu’Alexis. Nos RDVs en visios partent parfois un peu dans tous les sens #graindefolie, mais on garde le cap, avec douceur et complicité. Nous nous soutenons. Nos valeurs s’alignent.
J’ai hâte de retrouver Blanche Esther sur scène. On s’était rencontré·es lors d’un atelier que j’animais avec Rosie Marie pour Les Femmes S’en Mêlent. Depuis, nos chemins se croisent régulièrement. J’apprécie beaucoup son univers.
Trois générations se partageront la scène ce soir-là : Blanche Esther dans la vingtaine, KosmoSuna dans la trentaine, VoxAxoV dans la quarantaine.
Nous avons mis en place la vente de “billets suspendus”. Si vous ne pouvez pas venir à la soirée mais désirez tout de même nous soutenir tout en enjaillant quelqu’un-e, le billet suspendu est une belle solution.


•••
Le sujet du handicap me revient sans cesse en ce moment.
J’ai pris contact avec Sport National, l’association qui soutient la soirée, pour en savoir plus sur l’accessibilité du lieu. C’est justement un sujet sur lequel iels sont en train de travailler.
Très bientôt, on pourra partager une liste claire, comme on aimerait en voir plus souvent sur les sites de billetterie ou des salles : un état des lieux précis de ce qui est accessible (ou pas) aux Nouveaux Sauvages, ce qui a été mis en place pour accompagner les personnes porteuses de handicaps.
Voici un extrait de l’excellent Guide “Accessibiliser un évènement” réalisé par le collectif Les Dévalideuses :
Commençons par une idée simple, gratuite mais essentielle : quelle que soit l’accessibilité de votre événement, donnez-nous une information précise en amont. Positive ou négative, mais honnête et complète.
On pense souvent :
Accessibilité = PMR (personne à mobilité réduite) = fauteuil roulant
C’est passer à côté de la diversité presque infinie des formes de handicap.
Pour télécharger l’excellent guide en PDF, c'est ICI ou en cliquant sur l’image :
C’est un peu plus compliqué de penser et gérer l’accessibilité quand l’organisation d’un événement repose sur du bénévolat ou des ressources fragiles. Ou quand les personnes investies dans l’évènement sont elles-mêmes handies1.
Mais prévenir, informer, faire au mieux - ça devrait être la base.
•••
On parle beaucoup du public en situation de handicap, mais on oublie souvent les artistes, leur entourage pro, les technicien-nes.
L’artiste Katcross avait beaucoup évoqué cette problématique durant la conférence que j’avais modéré au MaMA en 2023 “À corps perdu : comment être un.e artiste en bonne santé dans une économie de l’attention ?”
Aujourd’hui, je prends personnellement conscience de cette réalité et je revois ma vie à travers elle.
Depuis si longtemps, j’ai fait avec, sans vraiment savoir pourquoi c’était souvent si compliqué.
Il m'a fallu toutes ces années tumultueuses, un diagnostic psy tardif, et cet arrêt maladie depuis mars pour enfin “réellement” comprendre, intégrer et commencer à agir (ou ne pas agir) en fonction.
Je sais que je continuerai à découvrir des aspects de mon handicap toute ma vie et qu’il évoluera avec le temps.
Je n’oublie pas non plus que mon corps, lui, deviendra de moins en moins valide (sauf si je meurs d’un accident fatal pardi).
Je me rappelle le slogan militant de Rizzo Boring :
Vos corps valides sont éphémères
La vie n’est que transformation, évolution, adaptation.
J’ai vécu et vis encore ce processus avec le genre. Je commence à le percevoir avec le handicap.
C’est tout un monde de luttes que je découvre avec des personnalités importantes, d’autres qui font un travail incroyables dans l’ombre, des courants de pensées qui diffèrent, des revendications précises ou globales, des médias et podcasts dédiés (Petit Mu qui sensibilise au handicap invisible notamment) etc.
Connaissez-vous la “crip culture”2 ?
Je tombe souvent des nues :
Il n’y a aucun aménagement pour les intermittent-es du spectacle ayant la RQTH.
D’ailleurs, savez-vous ce qu’est que la RQTH3 ?
Méditez bien cette information et les conséquences innombrables que cette situation engendre sur la vie des artistes handi-es et la prise en compte du handicap dans la culture (et donc, dans la société).
D’ailleurs, savez-vous ce qu’est le validisme ? Mon correcteur orthographique souligne d’un trait rouge le mot “validiste” car il ne le reconnaît pas , c’est dire.
•••
Je pensais d’abord écrire un long article intitulé “L’industrie de la musique est validiste #1”.
Mais je ne me sens pas encore tout à fait légitime pour aborder ce sujet de façon frontale, chiffres et argumentaires à l’appui, alors que je suis encore en train de digérer mon propre diagnostic psy et de découvrir la diversité des luttes anti-validistes et anti-psychophobes.
Ce sentiment d’illégitimité, je l’ai déjà traversé en découvrant le féminisme.
Quand on nous fait comprendre que notre parole a peu de valeur (ou que l’on se sent constamment submergé-e qu’on finit par douter de sa propre lucidité), on intègre vite l’idée que, quoi qu’on dise, ce ne sera jamais assez bien ou légitime.
Je pense aussi aux artistes handi-es qui connaissent cette réalité depuis bien plus longtemps que moi, et qui pourraient bien mieux en parler.
Et je suis sensée me reposer…
N’empêche.
Samedi soir, j’étais au Hasard Ludique pour voir Odalie lors de la soirée Reliefs.
Avant le concert, j’étais au bord de la crise de panique. Fatigue, trajet long, période difficile. Je ne cherche plus à savoir pourquoi, c’est ainsi.
Mais le concert a été tellement beau, j’étais tellement ravi-e d’enfin voir Odalie sur scène, de partager ce moment avec les artistes ALBE et Loutre, de retrouver Cloé Gruhier, qui s’occupe de Odalie mais aussi de VoxAxoV, que la panique a fait place à un sentiment de plénitude. On remercie aussi les concerts de musique ambient ou assimilée et la possibilité de pouvoir s'asseoir par terre. Ne serait-il d’ailleurs pas probant de proposer des sièges ?
Dans la file d’attente des toilettes de la salle d’attente, trois personnes discutaient du validisme. Elles étaient étonnées de ne pas avoir connu ce mot plus tôt.
Retrouvant toute ma vigueur, j’ai sauté sur l’occasion pour leur recommander l’écoute du podcast Dear Valid People, dont l’épisode sur les artistes handicapé-es m’a particulièrement marqué.
Ainsi donc l’industrie de la musique est validiste.
Je ne pense pas pouvoir vous faire la liste des raisons aujourd’hui. Vous êtes dans ma tête, pas en conférence.
J’ai envie de vous parler, mais j’ai aussi besoin de regarder la glycine du jardinet. Elle n’a jamais autant fleuri que cette année.
Je ne veux pas sacrifier ces moments passés à travailler cette glycine sous prétexte qu’il faudrait que je développe encore et encore ma carrière. De toute façon, je ne peux pas, tout mon être me crie ses limites.
Comme ça m’est arrivé avec le féminisme et la création de Musiciennes&Co4, j’ai une envie forte de contacter toustes mes camarades artistes handi-es pour qu’on monte un collectif. Pour organiser nos propres concerts — les plus accessibles possibles —, semer des graines, s’entraider, créer nos opportunités. Puisque l’industrie, clairement, ne le fera pas à notre place.
Lancer des projets ambitieux - certes passionnants, souvent d’utilité publique - mais épuisants et peu (voire pas) rentables, c’est aussi ce qui alimente les burn-out, n’est-ce pas ?
Alors je me retiens. Un jour peut-être.
J’aurais tellement d’autres choses à vous dire.
•••
Je vais finir cet article avec l’histoire du cadeau que m’a offert mon amie Rosa Rocca-Serra.
On a mis beaucoup de temps à se revoir. Elle devait me remettre Minuscule Folle Sauvage de Pauline de Tarragon alias Pi Ja Ma, son cadeau pour mon anniversaire qui a eu lieu… en juin. On s’est enfin retrouvées il y a deux ou trois semaines ? La vie d’artiste nous isole bien trop souvent de nos êtres chers. Il faudrait qu’on arrête ça si possible.
Finalement, c’est peut-être pas plus mal que je découvre cette BD seulement maintenant. Elle m’a tellement émue. Elle résonne tant avec ce que je traverse en ce moment.
La fin m’a mis les larmes aux yeux.
Au-dessus d’un dessin trop craquant - comme Pauline sait si bien les faire, où elle est représentée avec un animal imaginaire bleu derrière les fenêtres d’une maison toute choupi entourée de fleurs parsemées, il y a écrit :
En attendant je me répare.
Je fais la sieste avec des gens que j’aime.
J’essaie de m’entourer de plus de femmes et de moins travailler.
Mes problèmes n’ont pas disparu, on cohabite comme on peut.
Des gens viennent et s’en vont, mais ils n’emportent rien
avec eux. La maison est traversée, abîmée, déformée, mais elle se tient droite.
Elle regarde les fleurs mourir en hiver, sans tristesse,
car elle connaît la chanson. Elles renaîtront au printemps,
minuscules d’abord, folles ensuite, puis carrément sauvages.
C’est le printemps et, je vous le redis, la glycine n’a jamais autant fleuri.
À bientôt, au prochain cap !
PS : Essayez de venir à notre soirée du 14 mai, je fais peu de concerts (je pense que vous avez compris pourquoi maintenant) ❤️
PPS : Je vais faire un test en cachant le nombre de likes et en désactivant les commentaires sur le post Instagr4m de cet article. Celles et ceux qui me connaissent le savent : je ne manque jamais d’envie de communiquer, vous pouvez m’envoyer des messages. J’aimerais que les gens d’Inst4gram prennent le temps de lire mes articles, plutôt que de laisser un emoji parce qu’ils m’apprécient ou/et veulent me soutenir en rendant mon post plus visible. On gagnera toustes des points de vie. Inst4gram n’est plus une priorité pour moi, je méprise l’algorithme. Vous êtes souvent plus de 500 à me lire de bout en bout via les e-mails ou l’appli, c’est là que ça se passe pour moi maintenant et je me sens très reconnaissante.
PPPS : Merci d’avoir lu jusque là 😘
Je vous conseille l’écoute de l’épisode “Ecologie et handicap, sommes-nous tous·tes des vivant·e·s ?” du podcast Dear Valid People, durant lequel l’invitée Mathilde François raconte, entre autres, comment c’est passé l’organisation de l’évènement du collectif Les Dévalideuses dont elle est membre. À écouter ICI.
“Le militantisme crip, développé par des personnes handicapées, se propose de sortir le handicap de ces carcans, et d’en offrir une conception beaucoup plus radicale. Issu des disability studies et des théories queer, le crip prend également ancrage dans le concept d’intersectionnalité. Le mot crip n’existe pas dans le dictionnaire, mais cripple signifie « estropié, boiteux, infirme, invalide », et est donc, à l’instar de queer, une réappropriation d’un mot stigmatisant”.
Extrait de l’article sur le site des Ourses à Plumes par Charlotte Puiseux (autrice du livre essentiel “De chair et de fer: Vivre et lutter dans une société validiste”).
“La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (la RQTH) est, en France, un statut reconnu par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Elle apparaît sous forme d'une notification de décision et est valable pour une certaine durée avec la possibilité d'être renouvelée à l'échéance. Cette reconnaissance permet aux personnes handicapées d'accéder à un ensemble de mesures favorisant leur insertion professionnelle et leur maintien dans l'emploi.”
Source : Wikipedia.
Pour en savoir plus sur le collectif Musiciennes&Co, lire l’article “Pour des fins de projets heureuses” ICI.
Merci charlotte de prendre et de tenir la parole toujours et encore…encore ...encore plus ...je suis là aussi pour semer des graines...dès que j'entrevois une petite étincelle ;)
Quelle belle glycine et des pensées assorties 💜