Demain samedi, à Petit Bain à Paris, j’anime un atelier en non-mixité organisé par Les Femmes S’En Mêlent :
“Comment survivre dans le milieu de la musique : discussions de groupe et conseils concrets pour une santé mentale stable”
Vaste programme !
L’atelier a été très vite complet ce qui prouve à quel point la santé mentale est un problème majeur dans notre milieu professionnel et à quel point il touche les artistes FLINTA*1 particulièrement.
Je vous partage tout de même le lien de la page web dédiée :
Je suis assez fière du texte que j’ai écrit pour décrire l’atelier :
Le milieu de la musique n’est pas le plus propice à une santé mentale (et physique) saine. Horaires décalés, prédominance des réseaux sociaux, hygiène de vie mise à mal, stress, instabilité financière, injonction à la réussite exponentielle, oppressions systémiques, violences sexistes et sexuelles…
Comment trouver l’équilibre, garder la flamme et replacer le plaisir au cœur de nos métiers ?
Durant cet atelier en non-mixité, nous échangerons librement et en toute bienveillance sur nos parcours et les difficultés rencontrées et trouverons ensemble des clefs pour tenir le cap.
Vous serez guidé.e.s par Charlotte Cegarra qui s’est donnée pour mission de ramener le bien-être personnel et sociétal en premier plan, par sa musique et ses activités de conseils.
J’ai bien entendu commencé un article sur le sujet de la santé mentale dans le milieu de la musique en m’inspirant de mon parcours, de mes lectures, de ce que j’ai entendu...
Au bout de plusieurs longues heures de travail et voyant que le jour de l’atelier approchait, je me suis dit que l’article ne serait jamais prêt à temps. De plus, un article post-atelier serait beaucoup plus intéressant.
J’ai donc choisi de vous partager l’épisode 8 de la saison 2 du podcast Parcours d’Indés “Âge, minorités et temps longs : se développer en dehors des normes dans une industrie qui va trop vite”.
Cloé Gruhier m’a interviewé durant le MaMA 2023 suite à la conférence sur l’âgisme à laquelle j’avais participé.
Écoutez le podcast ICI ou en cliquant sur l’image :
Si vous n’avez pas encore écouté le replay de la conférence “Peut-on avoir une carrière durable dans une industrie âgiste ?”, découvrez-le en cliquant ici ou sur la photo :
Âgisme et santé mentale dans la musique
L’âgisme regroupe toutes les formes de discrimination, de ségrégation, de mépris fondées sur l’âge (source Wikipédia).
Pour les artistes FLINTA*, l’âgisme fait des ravages qu’on soit jeune ou âgée, c’est à dire lorsque l’on a plus de 34 ans (rire cynique).
Jeune
On est la proie facile des pros mal intentionnés. On est un réceptacle à conseils non sollicités à tout va (sur notre carrière, notre jeu, notre voix, notre manière de nous habiller). L’épée de Damoclès du temps qui passe pèse lourd au dessus de notre tête. On se demande quand on aura le temps de faire des enfants. On s’empresse de réussir (avant 34 ans). On se ruine la santé. On donne tout, trop, pour son projet de musique. Comme on est jeune (en ce moment), on s’angoisse beaucoup plus que nos aîné-es pour le futur de la planète et de la société et iels nous disent qu’on est défaitiste, qu’on devrait donner un peu plus dans la légèreté “tu ne veux pas parler d’autres choses dans tes chansons ?”.
Âgé-e (enfin, passé-e 34 ans)
Si on a pas encore “réussi” (c’est-à-dire qu’on a pas fait la tournée des SMACs, été intermittent-e plus de 6 ans en continu, touché des droits d’auteur ou voisins décents issus du streaming, sorti un album en vinyle écoulé à plus de 5.000 exemplaires ou passé à Quotidien), on se dit qu’on a jusqu’à 40 ans pour y arriver et chaque année passée nous rapproche encore plus de notre déchéance. On doit cacher le passage de l’âge ou au contraire clamer haut et fort qu’il ne nous atteint pas ou bien on se demande qu’elle devrait être notre posture vis-à-vis de notre âge. On multiplie les activités annexes, les plans “autres”. On trouve un travail non-artistique dans le milieu. On observe notre mec (cis) y arriver mieux. Faire ou ne pas faire des enfants devient une question très oppressante « on devra peut-être faire une FIV ». On jongle avec notre vie de famille, nos maladies, nos baisses d’énergies, nos (pré)-ménopauses, nos parents qui vieillissent ou qui partent vers l’au-delà. On désespère ou on se fait une raison. On devient un-e expert-e du milieu et à la fois on devient invisible. On est l’exception qui confirme la règle. On nous sort des modèles de personnes connu-es âgé-es qui ont réussi avant les années 2000. On devient comme une erreur, une preuve vivante de nos échecs, alors qu’on est la résilience incarnée et on dit peut-être de nous qu’on est forcément aigri-es car on a pas “réussi”. On fait tâche. On fait du spectacle jeune public, de l’action culturelle, du “care2 artistique”. On nous propose de faire du mentorat (principalement bénévolement) alors qu’on aimerait bien être nous-même mentoré-e pour savoir comment vieillir dans ce milieu. On ne peut plus candidater à des tremplins ou des concours même si notre projet est neuf c’est-à-dire “émergent”. Notre back catalogue3 est vraiment pas mal mais comme on est pas “connu-e”, il dort tranquillement sur les plateformes de streaming (oui oui “on a qu’à les mettre en valeur”) (oui oui mais l’injonction au neuf hein ?).
On arrête.
Ou on pense à arrêter. Beaucoup trop souvent même si ça nous paraît impossible.
On est coincé-e entre la jeunesse fragilisée et la mort, à partir de 34 ans.
Ne me dites pas que j’exagère. De toute façon, dites ce que vous voulez, les personnes qui vivent cette réalité me comprendront. Et oui je sais que dans d’autres pays il y a la guerre et/ou pas d’assurance vieillesse.
Conséquences
Quand on voit les chiffres catastrophiques de la présence d’artistes femmes et de minorités de genre dans la musique, on s’imagine bien que ceux des artistes de plus de 34 ans en voie de développement “certain” ou à la carrière pérenne doivent être post-apocalyptiques.
Alors comme toutes les oppressions, l’âgisme pèse énormément sur notre santé mentale.
Lorsque le temps qu’il lui reste pour se faire une place pérenne dans la société est si court, l’artiste (principalement FLINTA*) vit dans une anxiété constante (pourtant iel fait de la méditation, suit une psychothérapie ou tente tous les jours de prendre du recul).
Encore plus si la question de la (non)-parentalité entre en jeu, encore plus si on est une personne qui pourrait enfanter.
Il y a beaucoup “d’encore plus”.
Solutions
Non, on ne peut pas porter plainte (sans preuve tangible) pour discrimination basée sur l’âge contre les labels ou majors qui refusent (sans l’avouer) de signer des artistes de plus de 25 ans. Même si parfois, on en a vraiment envie.
Extrait de l’article “Industrie musicale : peut-on encore percer après 30 ans ?” de Juliette Soudarin paru dans Libération le 19 mai 20234 :
Miser sur le créneau 17-25 ans pour un label est aussi un moyen de rester pertinent dans le paysage musical. Une stratégie primordiale pour Antoine Bisou, fondateur du label indépendant Microqlima. Presque dix ans après sa création, la petite maison de disques a marqué la pop made in France en soutenant des groupes comme l’Impératrice, Isaac Delusion ou encore Pépite. «Le grand enjeu, c’est que mon label ne vieillisse pas avec moi. Je ne veux pas me contenter d’avoir été un gamin qui, dans sa vingtaine, faisait partie d’une nouvelle vague musicale et qui a décroché sans s’en rendre compte. Naturellement, lorsqu’on est en recherche active de nouveautés, on se tourne vers les jeunes. J’ai plus de chance de la trouver chez des artistes de 16 à 25 ans que chez quelqu’un qui a 35 ans et déjà des habitudes musicales», observe le directeur artistique.
Mon dieu, il y a tellement de choses à dire sur ces propos. Je ne vais même pas commencer.
Lutter pour que les choses changent, c’est bien et essentiel. Mais, croyez mon expérience, c’est fatigant et ça ne rapporte pas beaucoup sur le court terme (et ça ne remplit pas tellement le frigo). On a plutôt tendance à passer pour un-e rabat joie.
Donc en agissant à notre échelle pour que les choses changent tout en ne s’épuisant pas, il ne nous reste plus qu’à persévérer, jongler, faire avec et se soigner, ENSEMBLE.
Il faut aussi tenter de déconstruire nos clichés âgistes.
Éviter, par exemple de sortir à tout bout de champ des phrases comme :
Oh ! la vache !! trop bien !! mais tu ne fais pas du tout ton âge !!
Ah ouaissssss ??????!!!!!!!!!!! T’as 58 ans ???
Comment tu fais pour paraître aussi fraîche ??
Ces phrases souvent bien intentionné-es sont pour certain-es (moi) des compliments empoisonnés.
J’adore les capsules de Virginie Lesdemia auteure, rédactrice et comédienne voix off, aussi la fondatrice de Les Femmes Canon, un projet musical engagé contre l'invisibilisation des femmes de + 45 ans en musique dans les médias et le tabou de la ménopause.
Si on arrête
Sachez, vous qui jetez, avez jeté ou envisagez très souvent de jeter l’éponge, que je pense souvent à vous, surtout à vous, les FLINTA*.
Que vous ayez décroché par choix ou obligation. Que votre projet artistique soit au point mort mais que vous allez quand même vous y remettre, un jour.
Cet article vous rend hommage. Ça n’est pas grand chose mais c’est déjà ça.
Avant de finir… un message à mes étoiles
Lorsque j’arrive à me consoler ou que je vais bien, je me dis qu’il n’y a que moi qui peut juger de ma valeur (existentielle). J’existe aussi pour m’apprécier et kiffer cette flamme artistique qui est moi. Je suis artiste et cela donne un sens à ma vie, même si mon public est restreint, intimiste et qu’une grande partie de mes revenus vient de mes activités « accessoires » (comme les nomment l’URSAFF des Artistes Auteur-es)
Je me dis que je suis déjà bien en joie de donner un concert devant 70 personnes même si j’ai souvent du mal à arrondir mes fins de mois. Du moment que j’enjaille mes proches lorsque je leur chante une chanson dans le salon, tout va bien.
Je pense à mes parents, à mon oncle et à mes tantes, ces artistes qui continuent sans cesse de m’inspirer et de m’enchanter, malgré leur âge et le fait qu’iels n’aient pas ENCORE fait la tournée des stades. Vous êtes mes stars.
On avance aussi dans la vie pour inspirer celles et ceux qui y entrent.
Tout est cycle.
Alors on tient le cap !
FLINTA* est une abréviation qui nous vient d’Allemagne et signifie femmes, lesbiennes, personnes intersexuées, non-binaires, trans et agenres. L'astérisque est pour toutes les personnes qui ne se reconnaissent pas comme cisgenres. Source : Wikipedia allemand et post Instagram du collectif Peaches&Witches.
Le care (pron. à l'anglaise kɛə) est une « éthique de soin, de la sollicitude » (Rimlinger, 2023, p. 365). L'usage du mot « care » en France date des années 2000 et vient des États-Unis. Il a été en particulier popularisé en France par la campagne infructueuse de Ségolène Royal, candidate socialiste à la présidence de la république en 2007. Ce verbe qui signifie « prendre soin, s'occuper de » est devenu un substantif à la suite des travaux de la psychologue américaine Carol Gilligan en 1982 sur l'éthique du care, dans le cadre d’une étude de psychologie morale. Le concept de « care » s'est ensuite diffusé dans de nombreux champs disciplinaires, allant de l’éthique à la sociologie, en passant par les études médicales et la philosophie politique. Joan Tronto, la politiste et féministe américaine, le définit comme « une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre monde».
Parfois traduit en français par « soin » ou « souci » ou « sollicitude » ou « dévouement », le mot care est souvent utilisé non traduit, faute de terme suffisamment englobant en français pour ce terme polysémique. En effet, il désigne à la fois l’attention portée à autrui qui suppose une disposition, une attitude ou un sentiment et les pratiques de soin qui font du care une affaire d’activités et de travail. Une tension majeure travaille en effet le concept de care, entre disposition morale et pratique sociale.
Le care est l’objet d’un partage social selon le genre, l'assignation raciale et la classe. Il peut alors devenir l’objet d’un travail mal rémunéré (travail des dominés ou des faibles au service des puissants) et peu considéré alors même qu’il constitue un rouage essentiel du fonctionnement de la société.
Source : le site de Géoconfluences.
Back catalogue, de l’anglais “fond de catalogue” Ensemble des œuvres d’un artiste ou d’un groupe, à l’exclusion des productions les plus récentes.
L’article est disponible ICI (réservé aux abonné-es), préparez vos mouchoirs et votre punching-ball.