Le genre de conseils que l'on ne donnera pas durant l'atelier que j’anime via Musiciennes&Co ce samedi avec l'artiste et pédagogue Rosie Marie pour le festival Les Femmes s'En Mêlent à Petit Bain "Être guidé-e dans son projet" (il est complet...).
D'ailleurs, si vous faites partie du Club "Des Vies d'Artistes" vous pouvez bénéficier de 20% de réduction sur un des accompagnements de Rosie Marie : un cours de chant, de piano, d'arrangements, composition, arrangements au piano d’une chanson. Plus d'infos tout en bas.
Le pire conseil
Il y a bien longtemps, j'assistais à une chouette conférence sur l'artiste entrepreneur-e.
Quand un-e pro du panel d’intervenant-e-s a dit quelque chose dans le genre (le souvenir est vague) :
Les artistes indé-e-s, on sait que vous voulez tout bien faire, mais vous êtes souvent obsédé-e-s par les contrats alors que vous êtes en émergence, pas besoin de vous prendre la tête, vous verrez ces histoires plus tard, quand le besoin sera là.
J'ai suivi ce conseil car cela m'arrangeait à l'époque de le suivre. Je le regrette aujourd'hui.
J'écris cet article car j'aurais aimé le lire à cette époque. J'espère que vous en prendrez de la graine.
Je tiens tout de même à préciser que j'apprécie cette personne pro et son travail si elle se reconnaît. Elle m’a déjà conseillé sur d’autres sujets et cela m’a été d’une grande aide. Mais pour le coup des contrats, c'était un gros raté !
Je rajoute que je ne suis ni juriste ni avocate et que je n’ai pas la science infuse. Il est donc possible que je me trompe sur certains points malgré mes recherches et mon expérience. N’hésitez pas à me signaler des erreurs ou des choses à préciser.
Le Constat
En effet, être artiste (émergent-e), c'est une tannée.
(oui oui même si c’est génial, ça va, on sait)
On nous en demande beaucoup, trop. Souvent, pour peu de résultats.
Il faut d'abord être artiste. Mais il faut s'inscrire à la SACEM, se promouvoir, s'auto-produire, faire des concerts (s'auto-booker), gérer sa com’, monter une association, trouver des partenaires, des subventions etc.
On s'attèle souvent à toutes ses tâches sans connaissance.
Ou si on a les moyens, on délègue.
Mais vu le nombre aberrant de secteurs d'un projet de musique à financer, il faut être né-e avec une cuillère dans la bouche ou avoir signé un deal en major (exception qui confirme la règle) pour pouvoir tout déléguer et se concentrer en majeure partie sur son art. Et encore. La signature en major ne garantit pas à 100% le succès, la stabilité financière, la santé mentale, la liberté...
Je m'adresse donc surtout aux artistes qui "auto-produisent" leur musique enregistrée à plusieurs.
C'est à dire, celles et ceux qui financent de leur poche - ou de celles de leur association, la réalisation de leur musique et de leurs clips, qui choisissent la direction artistique de leurs oeuvres enregistrées...
Si vous produisez tout chez vous avec les moyens du bord et que vous ne déboursez pas vraiment d’argent (clip avec votre téléphone, MAO avec un logiciel craqué et un ordi pourri...), c'est la même chose.
Vous être votre propre "maison de disque". Vous devenez propriétaires de vos "masters".
C'est quoi les masters ? Voilà un article qui explique très bien la chose : ICI.
L’article parle de rap mais ça vaut pour tous les styles de musique.
Si vous êtes aussi les créateurices à plusieurs de vos chansons (avant l'enregistrement ou pendant, desfois les deux processus sont liés), vous les avez sûrement déposé à la SACEM (ou allez le faire). En décidant de la répartition des droits d'auteur-e et de compositeurice (voir d'arrangement) qui seront récoltés (répartition non exhaustive, sans maison d’édition) :
Tu as fait les paroles alors 50% vont pour toi.
J'ai fait l'instrumentale donc 25% pour moi.
Cam a fait la mélodie donc 25% pour iel.
Les dépôts SACEM ne font pas office de "contrat" à proprement parlé mais ils délimitent les rôles de chacun-e et statuent les pourcentages de revenus des droits récoltés (en plus de protéger vos oeuvres, de permettre la récolte des droits etc).
Pourquoi ne pas faire la même répartition pour la musique enregistrée ?
Si vous refusez ou hésitez à signer des contrats pour cela, c'est peut-être car :
- vous n'avez pas les connaissances (par exemple, vous pensez que les droits SACEM ça suffit, vous mélangez)
- vous êtes intimidé-e-s par le processus,
- vous manquez de temps,
- vous doutez de vos partenaires et vous vous demandez pourquoi iels ne vous font pas confiance en demandant des contrats,
- vous êtes parano, les contrats ça fait peur - le film Phantom of the Paradise et les histoires terribles de l'industrie musicale (comme Prince qui ne pouvait plus utiliser son nom) ne rassurent pas,
- vous êtes un-e pirate et vous signez tout en creative commons, fuck le système, free the art
- vous êtes un-e manipulateurice malhonnête (ce cas est plus rare)
Bien souvent, c’est un mélange des cinq 1ères raisons.
Les arguments (pour certains tout pétés) qu'on pourrait regretter plus tard
Ça prouve qu'il y a pas de confiance
Signer un contrat entre nous ? Mais on est potes / cousin-e-s / en couple, on va pas se déchirer quand même. Genre en fait, on doit contractualiser notre passion ? Genre on va se faire des crasses ? C'est quoi ce manque de confiance entre nous ?
Et les contrats, punaise ça nous enferme plutôt que ça nous libère, regarde ce qu’il est arrivé à bidule qui est coincé dans sa maison de disque.
Les gens qui se marient signent un contrat. Pourtant le mariage est censé sceller une union, ça n’est pas une preuve de manque de confiance. Bien au contraire.
Je ne fais pas l’apologie du mariage contractualisé. Mais ça peut protéger les marié-e-s, la descendance, les enfants adopté-e-s, les étranger-e-s... Même si ça n’empêchera jamais les personnes malveillantes de faire du mal, on est d'accord.
Quand on commence un travail salarié, on signe un contrat.
Alors c'est ok de signer un contrat pour un appartement ou un abonnement téléphonique (même sans engagement).
Ok pour un deal de distribution, d'édition, pour un concert...
Mais pas ok de signer un contrat entre vous pour la propriété de vos masters, alors que vous risquez des problèmes si ça part en sucettes entre vous ou avec vos partenaires ?
Allez, arrêtez deux minutes. Soyez sérieuxses, sortez de vos illusions d’ados. La plupart des groupes qui se forment, se déforment. L'amour toujours, le groupe toujours, c'est rare.
Assurez vos arrières, poutrelle. C'est un signe de respect et de confiance pour vos collaborateur-ice-s de demander de signer des contrats.
Ça me fait peur tout ça, j'y connais rien
Pour celleux ici-présent-e-s qui ont déjà travaillé dans leur vie, qu’importe le job, vos premiers contrats et bulletins de paie vous ont sûrement laissé pantois-e-s.
Lire un contrat qui concerne notre musique en termes juridiques, c’est intimidant. On se sent en décalage complet. Au début.
Ce fût mon cas à ma toute 1ère signature de contrat d’édition à la lecture de la mention du "pour tout l'univers" 😅
Personne ne vous demande de devenir avocat-e ou juriste. C'est normal que vous ne sachiez pas. Vous êtes artiste.
Vous pouvez vous faire aider d'un cabinet d'avocat-e-s, d'un-e juriste, du réseau d'accompagnement ou des SMACs de votre région. Vous pouvez vous adresser au Barreau des Arts, vous pouvez trouver des modèles sur le net, vous inspirer du livre pavé "Les Contrats de la Musique" édité par le CNM. Vous pouvez demander à d'autres artistes, à des groupes d'entraide sur Facebook, à vos autres partenaires si vous en avez. Etc.
La GAM "Guilde des Artistes de la Musique" propose à ses adhérent-e-s des réductions pour des conseils juridiques et les services de cabinet d'avocat-e-s : https://lagam.org/.
Tout contrat est négociable et vous pouvez proposer des clauses. Vous n'avez pas à recopier bêtement les modèles qu'on vous transmet. Adaptez à votre situation.
J'ai pas le temps
Ah ah, je rigole jaune. Moi aussi quand j'assistais à cette conférence, j'étais dans le rush continuel. J'étais plus jeune aussi donc j'avais plus d'énergie, moins d'expérience.
Obnubilé par le développement de mon projet, ça m'a arrangé de me dire
bon si cette personne dit qu'on signera les contrats quand on en aura besoin, c'est que ça doit être vrai, vraiment on se prend trop la tête, on veut tout faire bien alors qu'on est pas censé tout savoir et tout connaître, l'artiste entrepreneur il a bon dos, on est épuisé, on en fait trop.
Blablablablablablabla.
J'avais raison sur ces derniers points.
Mais ce n'est pas se prendre la tête que de vouloir s'assurer un futur serein.
Ce temps que je n'ai pas passer à faire des contrats à l'époque, je le perd aujourd'hui à raccommoder des choses.
D'ailleurs, il n'y a pas que des problèmes qui peuvent surgir.
Si le label de vos rêves veut signer votre groupe, comment allez-vous contractualiser avec lui ? S'il vous propose de racheter vos masters, quel montant allez-vous proposer ?
Vous allez devoir gérer dans l'urgence. En ayant peur de faire des erreurs, de vous faire avoir, de montrer que les rôles et les degré d'implications des membres du groupes ne sont pas encore tout à fait clairs et que vous êtes donc "ingérables" "immatures" "pas pros" etc.
Je ne dis pas que vous devrez tout savoir quand les futur-e-s partenaires vous approchent. Mais que vous sachiez un minimum. Ce que vous faites mérite un temps de réflexion. Et la punk attitude elle a bon dos dans une société où tout se contractualise et le respect des droits humains volent bien souvent en éclat malgré les textes de lois.
Vous avez le cul entre deux chaises
On veut mais bon, on peut pas tout de suite, on est vraiment trop dans le rush, en pleine tournée des Trans, mais quand même... on voudrait se protéger un minimum
Écrivez sur un document, avec vos mots, qui a fait quoi pendant combien de temps et pour combien, en vous appuyant du tableau si vous l’avez fait (cité ensuite). Notez ce que vous voudriez pour le futur de vos enregistrements, qu'est-ce qui se passe si le groupe se sépare par exemple etc. Envoyez-vous ça par e-mail. Ça peut être une 1ère étape.
Conseils concrets
Faites un tableau qui comprend :
- l’argent dépensé pour vos enregistrements et qui a financé
- idem pour vos clips et vos visuels si vous les avez produit et/ou financé
- notez le temps passé pour chaque étape de l’enregistrement et de la création visuelle (à la louche hein)
- idem si vous êtes aussi interprètes et acteurices des clips et que vous ne vous êtes pas rémunéré-e-s pour cela
- en fonction du rôle tenu et du temps passé dans chaque étape, renseignez-vous sur les grilles de salaires pour noter le montant que vous auriez dû recevoir pour votre travail
- idem pour les mixs et masterings, qui a payé et combien
- et notez toute autre dépenses si possible (com’, régie…)
OUI ça prend du temps. C’est normal.
Le total vous donnera le prix approximatif de vos masters. Il y a d’autres paramètres qui entrent en jeu, mais c’est déjà un bon début. Et je ne suis pas spécialiste malheureusement, moi-même je demande de l’aide.
Si vous n’avez jamais fait ce calcul, vous pouvez tomber des nues en vous apercevant de l’argent et du temps (donc de l’argent) dépensés pour votre projet. Oui, vous êtes réellement une maison de disque.
Tentez d’en ressentir de la fierté “et bah dis donc, je me donne à fond, j’apprends, j’investis, je suis de la balle”. Plutôt que du dégoût en mode “tout ça pour ça” ??
C’est peut-être le moment aussi de réfléchir à d’autres manières de faire, si une fois l’EP terminé, vous êtes sur les genoux, que vous ressentez de l’amertume.
Faites ensuite des contrats entre vous.
Et si vous ne les faites pas, ne faites-les pas en connaissance de cause et acceptez de prendre un risque.
⚠️🚨 Mon partenaire artistique ne veut pas du tout faire de contrat, me donnent des explications vaseuses, me presse et m'oppresse quand je lui en parle, je le sens très mal 🚨⚠️
ALERTE ALERTE ALERTE, ça sent mauvais.
Si elle n'est pas juste immature, ignorante, un peu trop shlag ou un peu prétentieuse "je sais mieux que toi", vous collaborez peut-être avec une personne malveillante.
Faites le tableau dont je vous ai parlé plus haut. Gardez des copies des preuves d’achat, des factures etc.
Insistez fortement pour signer des contrats que vous aurez bien potassé en amont. Négociez. Allez demander conseil, à des juristes ou des avocat-e-s, à vos autres partenaires ou à d’autres personnes qui s’y connaissent. Ne restez pas seul-e avec ce problème. Parlez-en à d'autres.
Et dans le pire des cas si ça s'envenime, assurez-vous que votre part de propriété des masters est prouvable. Assurez vos arrières en somme. Tentez de sortir de cette collaboration en vous faisant aider.
Oui, c'est le même genre de conseils que l'on donne à des personnes victimes de violences conjugales. Ou de harcèlement au travail et il y a beaucoup moins de protections pour les artistes qui travaillent ensemble, pas de pôles “Ressources humaines” dans votre groupe. Tout se passe en huis clos et il faut donner bonne figure aux yeux du public et du milieu. Mais ce sont les mêmes dynamiques en jeu.
Protégez-vous, prenez soin de vous. Demandez de l’aide.
Pour finir sur une note plus légère
Ne devenons pas parano. On peut en effet être dans une relation de collaboration où tout est fluide. Ou réellement, ça n'est pas le moment pour vous. C'est ok si vous le sentez bien.
Moi-même, j’ai scellé tellement des collabs et de deals sans contrat et tout s’est très bien passé.
(même si, on sait jamais, peut-être je fais une erreur d'écrire ce que je viens d'écrire) (bon j'arrête) (oui mais quand même) (ce qu'il m'arrive n'arrive pas à tout le monde) (oui mais quand même, au-delà de la peur d'avoir de réels problèmes car ça arrive à beaucoup, si on veut en faire son métier, faut bien connaître les rouages un minimum et faire des contrats non ?) (oui mais là je disais que bon desfois en effet, ça peut passer de pas en faire) (oui mais quand même) (ok, Charlotte, on a compris, je les aurais prévenu)
Ah ! Si ! Desfois, il est vrai, on n’a pas à se mettre la rate au court bouillon.
Pas de rate au court bouillon : les contrats pas maintenant ou pas pour vous
• Vous enregistrez une collab éphémère avec votre colloc adoré-e un soir de pleine lune bien arrosée qui sort ensuite sur la compilation d'un label obscur de trap noise.
• Vous faites tout tout tout tout tout tout tout tout seul-e (même la duplication de vos K7s et leur livraison en magasin).
• Vous faites ça pour le plaisir, seulement pour le plaisir, vous voulez pas vraiment être pro. On fait des concerts de reprises dans les pizzerias du coin.
• Vous êtes déjà trop épuisé-e-s par tout ce que vous avez à faire. Euh NON. Dans ce cas, imposez-vous une pause, allez voir un médecin. Vous êtes peut-être au bord de ce qu'on commence à appeler le "burn-out de l'artiste".
• Vous êtes anti-système, anti-propriété intellectuelle, anti-contrat, pro creative commons, tantpis si on me vole ma musique, c'est pour l'humanité qu’on le fait pas pour nous. On vit d'amour et d'eau fraîche.
• Vous sortez de la 1ère répétition de votre 1er groupe, d'ailleurs c'est quoi la SACEM ?
ET VOUS ALORS ?
Qu'en pensez-vous de tout ça ? Contrat ou pas contrat ?
Avez-vous des expériences à nous transmettre ? Des questionnements ?
N’hésitez pas à commenter !
La promo du Club
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Mais si vous prenez l'abonnement payant, vous aurez le droit à des promos.
Et celle que je propose aujourd'hui est plutôt tip top. Bon, elles le sont toutes.
L'artiste et pédagogue Rosie Marie vous offre 20% de réduction pour un cours de chant, de piano ou un autre de ses services. Arrangement de chanson au piano, composition et écriture pour les interprètes.
Envoyez-moi un email à charlottecegarra@gmail.com avec comme sujet "Rosie Marie". Je vous mettrai ensuite en contact.
J'ai fait appel à ses talents d'arrangeuse et j'ai été soufflée. Elle a été capable de transformer un des morceaux ragga indus de VoxAxoV co-créé avec Nahash, en pièce mystico-dark au piano. Tout en me donnant des conseils pour améliorer mon jeu pianistique. Le tout en un temps record, avec humour et bienveillance.
Hehe Charlotte, ce petit tacle final sur les artistes en creative commons... ;-)
Je me permets une petite nuance au passage: ce n'est pas parce qu'on récuse la notion de "propriété intellectuelle" qu'on est un gros hippie déconnecté du réel. Et ça ne veut pas dire non plus qu'on pense que la musique doit être gratuite hein ^^
Certes, dans notre modèle économique dominant, les consommateurs de musique se sont habitués à ne plus acheter de musique et à avoir accès à de l'art gratuit à flot continu, d'où la nécessité des droits d'auteur pour la survie des compositeurs (je ne la conteste pas).
Mais on peut peut-être imaginer un autre modèle de société, où l'artiste ne serait plus un petit rentier précaire, mais un artisan qui vit dignement de la vente de sa production musicale?