Cet article fait suite à ceux-là :
Comme à chaque fois, une petite mise en bouche avant d’entrer dans le vif du sujet.
Les contacts sont des personnes
L’artiste Daphné Swân était en pleine campagne de promotion pour la sortie de son nouveau single clippé Tous quelqu’un. Nous avons discuté.
Tous quelqu’un illustre parfaitement ce que j’ai tiré de notre discussion :
Durant les campagnes de promotions, les émotions font des montagnes russes.
Le public ne voit pas les refus de relais médiatiques. Il ne voit que les relais médiatiques acceptés.
Les concerts ne disent pas publiquement le nombre de refus que le ou la booker a reçu.
Logique !
Même pour des artistes encensé-es, l’apparente réussite ne raconte pas les négociations, les critiques, les indifférences, les résistances, les rejets.
À chaque moment de sa carrière, l’artiste est aussi confronté-e à des acceptations sous condition plus complexes à appréhender que ce que les articles des contrats stipulent noir sur blanc.
La musique actuelle est aussi un milieu « politique » où la diplomatie et le « un donné pour un rendu » sont de rigueur (comme partout vous me direz) malgré une coolitude illusoire.
Ne pas se rendre compte de tout ce que je viens d’énoncer peut nous plonger dans l’auto-critique incessante et le dénigrement de soi. Mention spéciale pour les groupes de personnes oppressées.
C’est pour ça qu’il est toujours intéressant de (tenter de) savoir « réellement » les raisons d’un refus.
Ces raisons peuvent rassurer…
Ces raisons peuvent nous faire évoluer (améliorer notre projet, la manière dont on le partage), nous permettre d’affiner nos recherches, de nous ouvrir de nouvelles pistes de développement ou de nous conforter dans l’idée qu’il est temps de passer à autre chose (peut-être).
…ou ces raisons peuvent faire mal.
Les raisons du refus peuvent aussi nous mettre en colère, lorsqu’on s’aperçoit que les choix sont politiques ou lorsque l’interlocuteurice veut quelque chose en retour (les partenariats, les sponsoring, les tremplins payants…).
Pour ma part, je m’efforce toujours de faire des retours détaillés sur Groover. J’essaye d’être bienveillante au maximum, sachant que l’artiste et son entourage proche sont derrière l’écran. Malheureusement, ça n’est pas une habitude pour tout le monde.
Les artistes indés ou debutant-es sont parfois traité-es de manière robotique (client potentiel pour un service) ou sans vergogne (le « petit » artiste n’a soit disant pas de poids). Le plus souvent, c’est un retour évasif ou un silence radio.
L’artiste bien en place et/ou exposé-e médiatiquement est deshumanisé-e et reçoit des critiques ou des refus cinglants. On oublie que le succès criant ou la flopée de partenaires pros n’empêchent pas le venin d’atteindre la blanche colombe. Ou, l’artiste est mis-e sur un pied de stale, l’authenticité des relations s’évapore, une image illusoire se crée, l’adoration, l’intérêt ou la jalousie faussent les rapports.
Le métier de l’artiste est d’exposer son art, ses émotions. Cet élan le/la met donc en péril.
Quand on sait qu’il est beaucoup plus facile de détruire un couple ou une ville que de les construire, on se rend bien compte qu’un public aimant, de bonnes rentrées d’argent ou une campagne promo réussie, ne pansent pas les plaies que les propos négatifs ou malveillants causent.
Alors qu’est-ce qu’on fait ?
Je ne parle pas ici de harcèlement (virtuel) ou des comportements oppressifs et violents.
Derrière chaque silence ou refus, derrière chaque négociation compliquée, derrière chaque proposition diplomatique ou d’échange étrange, rappelez-vous qu’il y a un être humain et un système.
Je dis cela avec beaucoup d’assurance comme rien ne m’atteignait mais je peux vous garantir que j’ai souvent été dans tous mes états et le suis encore parfois face à des silences ou des refus mal expliqués.
Mais à la longue, ce n’est pas que que je me suis habitué (on ne s’habitue jamais vraiment à l’indifférence et au rejet) mais j’ai appris à me décentrer.
Pour passer de la mise en bouche au plat principal, je vous donne l’astuce suivante :
Répétez, comme le fait Daphné Swân, qu’on est toustes quelqu’un-e.
Rappelez-vous qu’un-e humain-e va obligatoirement aux toilettes.
Et maintenant place au concret !
Lorsque l’on lance une campagne de prospection, notre esprit se concentre principalement sur le moment de l’envoi.
Bien entendu, ce moment est essentiel car sans lui, il n’y aurait pas de prospection.
Mais comme nous l’avons vu dans les articles précédents, une prospection sera efficace grâce à une bonne préparation mais aussi grâce à un bon suivi et de bonnes relances.
Préparez-vous pour la relance !
Si vous avez bien suivi les préceptes des articles précédents, vous avez prévu dans votre planning une période de « relance ». Vous ne serez donc pas dépité-e de savoir qu’un seul message ne suffit bien souvent pas.
On pourrait même dire que la quête commence réellement par le suivi.
Le suivi et la relance, c’est tout un art.
Ainsi l’email de relance est pensé en amont. Il peut être même rédigé durant le lancement de la campagne.
Je vous déconseille cependant de l’écrire en brouillon. Les envois non désirés pour fausse manipulation sont difficiles à gérer n’est-ce pas ?
Devenir espion-ne
Avant de vous lancer dans la relance, enquêtez un minimum.
J’utilise une extension avec Gmail qui me permet de savoir si le ou la destinataire de mon mail l’a ouvert et a cliqué sur des liens.
Pour trouver votre outil de “d’espionnage” idéal, tapez simplement “email tracker” (suivi d’email) dans Google.
J’étais sur Streak mais je vais migrer vers Mailtracker pour ma prochaine campagne de prospection car Streak est devenu trop compliqué pour moi.
Je vous donne ce conseil, non pas pour vous mettre en colère “Bidule a ouvert 5 fois mon mail mais n’a pas été fichu-e de me répondre” mais pour vous apaiser “bien entendu que Bidule n’a pas répondu à mon mail, iel ne l’a pas ouvert”.
Si la personne a ouvert votre mail (plusieurs fois), c’est déjà bien.
N’oubliez pas que certaines boîtes mail sont consultées par plusieurs personnes : info@, contact@ ou progra@ etc. pour ne citer qu'elles en exemple.
Vous pouvez aussi faire vos enquêtes si vous envoyez des communiqués de presse groupés avec des outils d’envois de newsletters type Mailchimp ou Brevo (ex Sendinblue) :
Tel-le DA de label a ouvert votre newsletter et a cliqué (plusieurs fois) sur le lien de votre nouveau clip. Quelques jours plus tard, vous pouvez envoyer un email personnalisé en partageant ce même clip et une nouvelle actualité si vous en avez, ainsi qu’une invitation à votre prochain concert.
Une bonne organisation
C’est logique, une fois de plus.
Qui dit bonne organisation dit bon état d’esprit, techniques et environnements de travail agréables. On en a parlé dans les articles précédents.
Il vous faudra travailler avec votre tableau de prospection.
Créez une ou plusieurs colonnes dédiées aux relances : où en est votre suivi (date du dernier envoi), qui s’en charge, quand et comment il faudra relancer, raison du refus...
Lorsque le refus est net et ne changera sûrement pas, créez un onglet spécial. Par exemple, la salle ne programme pas de bal musette mais du trash noise malgré un nom qui insinue l’inverse « La Guinguette du Bois Joli ».
J’ai cette obsession de ne jamais « jeter » mes prospects dans l’idée que « ça pourrait toujours servir ». C’est comme avec tous les bouts de ficelle ou de papier vierge que je garde pour mon merch artisanal, le tout c’est de bien les ranger.
Le suivi dans le temps
Il est utile de travailler avec un agenda et des alarmes.
L’agenda pour les grandes sessions de relance et les alarmes pour les « cas particuliers ».
Par exemple, si vous relancez au téléphone, il est possible qu’on vous dise
Alors Camille Duplic est au Beautemps de Courges et sera de retour à la salle le mercredi 31 février et joignable entre 13h12 et 15h62.
L’e-mail de relance
Ils sont bien entendu plus courts que les premiers e-mails de prospection.
C’est plutôt une bonne chose, car l’interlocuteurice est souvent débordé-e et envahi-e d’e-mails. En voyant que l’e-mail est beaucoup plus court, iel va s’épargner (ou pas) la lecture de l'e-mail précédent.
Il est primordial que cette relance possède une nouvelle information, une actualité.
Si vous pensez que vous n’en avez pas, j’ai envie de vous répondre « vraiment » ?
Tout peut se transformer en actualité si vous y mettez les formes : une entrée en playlist, de nouvelles photos de presse, une cover, un concert, un relai média, un mix pour une radio, lancement de campagne de crowdfunding, nouveau partenaire, événement divers auquel vous participez…
Voilà des phrases pratiques :
Avez vous reçu mon mail précédent ?
Je serais au MaMa festival.
Pour plus d’infos voir l'e-mail précédent plus bas.
Le Re:
Maintenant, une astuce de mon cru.
Plutôt que d’envoyer un nouvel email, j’utilise celui que j’ai déjà envoyé et qui n’a pas obtenu de réponse.
Le sujet sera le même mais se verra affublé d’un “Re:” à son début. Instinctivement, on pense qu’il s’agit d’une discussion déjà entamée.
Il m’arrive même parfois de modifier le sujet du mail pour qu’il soit actualisé.
Il m’est même arrivé de créer un nouvel email et d’y ajouter un Re: au début.
Cette technique permet en effet de renvoyer le ou la destinataire à “l’email précédent plus bas”.
Périodicité
Pour les campagnes promotionnelles, si vous n’avez pas d’attaché-es de presse, je vous conseillerai de vous inspirer de ce qu’iels font. Vous trouverez facilement des articles ou des interviews à ce propos sur le web.
Je tiens cependant à rappeler que les services des attaché-es de presse sont quasi indispensables à un moment donné pour la majorité des projets artistiques. Je ne vais pas m’étendre sur le sujet dans cet article.
Il n’est pas question de harceler en envoyant un message tous les 5 jours. Mais ne lâchez pas non plus le morceau en envoyant une relance au bout de deux mois.
Pour les recherches de partenaires, les relances seront plus espacées, vous êtes moins dans l’urgence.
Contenu de l’e-mail de relance
Pour les relances médias et playlists, inclure toujours la mention d’une retombée média autre, d’une introduction dans une playlist de taille, d’une revue de presse etc.
L’idée est de faire comprendre que si ces médias-là vous ont relayé, pourquoi les autres n’en feraient pas de même ?
Pour les recherches de partenaires, vous devez surtout montrer que « les choses avancent » (même si bien entendu les médias sont très sensibles à cela aussi). Il vous faut faire part des grandes nouvelles, inviter à vos concerts. L’approche doit être encore plus personnalisée.
Montrez votre intérêt pour “l’autre”
Ce n’est pas parce que vous vous adressez à un-e boss de label bien en place, que cette personne ne sera pas sensible à vos compliments. Rappelez-vous qu’il y a toujours un être humain derrière l’écran.
J’ai la voix de Daphné Swân dans la tête. Nous sommes quelqu’un… Sommes quelqu’un… Nous sommes tous quelqu’un… Personne n’est rien !
N’oubliez pas de mentionner quelques mots sur les activités de la personne ou de la structure à qui vous vous adressez
J’ai beaucoup aimé le dernier single de Bidule !
La review du concert de Machine m’a vraiment donné l’impression d’y être.
Bien entendu, soyez sincère : si vous les contactez c’est que vous aimez leur travail auprès des artistes ou le travail des artistes pour lesquel-les iels travaillent.
Le cas des plateformes type Groover
Lorsque l’on fait des campagnes de prospection avec ces plateformes, on pourrait penser, à tort, que l’on a pas besoin de relancer.
Si j’en parle c’est que ça n’est pas une si bonne idée de miser seulement sur les campagnes type Groover en tant que telles. Il faut les voir comme une entrée en matière.
Le suivi est important même si le processus est automatisé.
D’abord, les interlocuteurices sont parfois d’accord pour que vous les contactiez par e-mail plus tard.
Si vous avez déjà fait des campagnes pour votre projet, vous devez rebondir sur les réponses à vos retours précédents via des messages personnalisés.
Une fois de plus, n’oubliez pas qu’il y a des personnes et des structures derrière ces comptes, qu’elles présentes à des événements, en organisent parfois.
Le suivi de ces campagnes “automatisées” doit être indiqué dans vos fichiers de prospection : lorsque vous travaillerez avec des partenaires, ces fichiers serviront de base de travail.
Proposition de rencontre
Les propositions de rencontres peuvent crisper certain-es mais montrer à d’autres que vous êtes bien conscient-e que “tout ne se fait pas par mail” et ajouter de l’humain dans les échanges.
Tout l’art de la proposition de rencontre se situe justement dans le choix du bon moment, de ce que votre interlocuteurice semble dégager.
L’empathie est un atout de taille.
Vous pouvez aussi notifier que vous serez présent-e à tel évènement phare du milieu, à tel concert etc.
Relancer sans écran
Osez téléphoner
Ça peut être compliqué les 1ères fois (surtout si vous recevez des refus) mais c’est idéal pour humaniser les rapports et commencer à créer des relations professionnelles concrètes sur le long terme.
Je vous conseille de bien choisir les personnes que vous allez appeler. Il faut “sentir” une possibilité forte. Le mieux est que vous ayez déjà rencontré ces personnes en chair et en os auparavant.
Si cela peut vous aider, préparez vos coups de téléphone. Vous pouvez écrire sur un document digital ou papier les infos importantes à glisser. Voir même des phrases toute faites si l’exercice vous impressionne. Vous pouvez vous inspirer des déroulés d’appels commerciaux (oui oui).
Il y a aussi les adeptes de l’improvisation. Tout se vaut.
C’est ok si vous vous emmêlez un peu les pinceaux du moment que vos besoins sont clairs.
N’oubliez pas qu’à la base, vous êtes artiste.
Relancer en personne
Tout le monde vous le dira, il n’y a rien de mieux que le contact physique pour réellement capter l’attention.
Bien entendu, une fois de plus, il n’est pas question de harceler les gens.
Comme pour toute interaction humaine, le consentement est à demander absolument.
Vous êtes à un évènement pro : “Oh Machine, comment ça va ? blabla… Tu as deux minutes ?”. Si la personne n’a pas deux minutes mais semble ouverte, proposez un RDV ou prévenez que vous allez envoyer un mail.
Durant les évènements festifs, c’est peut-être moins évident d’amener votre interlocteurice sur un terrain professionnel.
Phrases utiles :
Je t’ai envoyé un mail mais tu ne l’as peut-être pas vu passer.
Ça va, c’est le stress en ce moment avec la sortie de l’EP, mais ça va (rire), je suis content-e, ça avance ! Tiens je te donne son QR code avec l’écoute privé.
Vos interlocuteurices ne vivent pas dans des tours d’ivoire et il est bien possible qu’elles vous parlent d’elles-mêmes si vous vous connaissez déjà.
Si vous avez été finaliste d’un tremplin ou l’avez remporté, elles viendront beaucoup, beaucoup plus “naturellement” vers vous.
J’ai l’impression de donner des conseils de savoir vivre, mon dieu… C’est que j’ai remarqué que les artistes (je m’inclus dans ce groupe) perdent parfois toute contenance quand il s’agit d’aller prêcher leur bonne parole. Lire des conseils évidents écrits noir sur blanc, ça aide.
Pour conclure, décentrons-nous
Si on se souvient que tout le monde va aux toilettes et que derrière votre écran il y a des être humain-es et surtout un système, on se souviendra aussi que l’on n’est pas seul-e à être en quête.
J’ai fait un sondage Instagram en demandant :
À votre avis, pourquoi les gens ne répondent jamais à vos mails ?
Beaucoup de personnes ressentent d’abord un rejet personnel…
Je suis nul-le :(
Mon projet n’est clairement pas encore au point.
L’autre a dit du mal de moi alors c’est normal qu’un-e tel-le ne me réponde pas !
… tout en sachant que la raison est sûrement autre !
Mais j’ai un gros syndrome de l’imposteurice alors mon ressenti est peut-être faussé.
Au final, la valeur qualitative de votre art n’est vraiment pas LA raison d’une absence de réponse.
Pour vous rassurer, vous pouvez penser à toutes ces possibilités :
Vous avez la mauvaise adresse email (faute de frappe, changement de boîte mail…).
La personne ne travaille plus là.
La structure, le lieu n’existent plus.
La personne est en congé mais n’a pas de réponse automatique d’absence.
La personne est en arrêt maladie.
La personne n’est plus de ce monde.
La personne a oublié de vous répondre ou d’appuyer sur le bouton envoi.
La personne reçoit 56 mails par jour (raison la plus plausible). Vous êtes donc 56 multiplié par le nombre d’emails sans réponse par jour à penser que c’est parce que votre projet est nul ou pas assez mâture ou qu’on vous veut du mal etc. qu’on ne répond pas à vos mails.
La personne a trop de travail, apprécie ce que vous faites, lit vos emails mais ça n’est pas dans sa priorité de vous répondre maintenant, aujourd’hui, dans la semaine.
Votre demande ne correspond pas à son champ d’action.
Votre musique ne correspond pas au catalogue.
Le catalogue est pleins, la programmation est bouclée.
Vous ne correspondez pas au critère de sélection.
Catastrophe en tout genre (dont attaque de zombies ou mariage princier).
Ou, comme le dit
un très cher membre du Club des Vies d’Artistes, “sa sœur est en train d’accoucher”.
Alors, rassuré-e ?
Prêt-e pour la relance ?
Prêt-e ou pas, gardons le cap !
À bientôt !!
Un article à encadrer :)
Deux autres raisons classiques pour un projet qui en vont pas se faire
l'email est arrivé dans les spams
l'email a été envoyé à deux personnes et chacune a cru que l'autre s'en occupait
On est bien peu de choses et mon amie la rose me l'a dit ce matin :)