Santé mentale d’artiste, fatigue et solidarité
Bourdon, cafard & araignée au plafond du soir... espoir !
Je participe à la table ronde “Et si l’on parlait prévention dans les métiers de la musique ?” organisée par Audiens le mercredi 24 avril à 14h30 au Printemps de Bourges.
J’y participe en tant qu’artiste pour témoigner. Je parlerai de mon parcours artistique en axant mes paroles sur la prévention en santé mentale. Cette prévention dont je n’ai pas bénéficiée et dont n’a pas bénéficié ma famille d’artistes.
Quand ça bloque, c’est pas pour rien
Cela fait un mois que cet article attend d’être écrit. J’ai dans les tiroirs 4 brouillons.
Il semblerait qu’il me soit difficile d’aborder le sujet de la santé mentale des artistes...
Il semblerait aussi que, depuis un mois, mon humeur n’est pas au beau fixe. Tristes nouvelles, problématiques professionnelles, personnelles et familiales s’ajoutent à mes émotions en dent de scie.
Je me raccroche au souvenir du concert de VoxAxoV à la Mécanique Ondulatoire de début mars pour alléger mon coeur. C’était si bien !
Mais n’empêche.
Je n’arrive pas réellement à profiter du printemps qui se déploie.
Alors je ne vais pas écrire ici et maintenant ce que je raconterai au Printemps de Bourges.
Je ne vais pas non plus pondre une réflexion sur l’état de la santé mentale des artistes avec chiffres, illustrations en camembert, anecdotes personnelles et extraits de lectures, en résumant ce que j’ai entendu au cours de mes discussions avec d’autres artistes et durant les ateliers que j’anime.
Chronologie d’un mois fort mais compliqué
Âgisme
Il y a un mois, j’ai publié un article sur l’âgisme dans la musique :
J’ai un peu l’impression de revivre ma prise de conscience féministe sur un autre thème qui lui est lié.
J’ai été très troublée par les réactions, les témoignages, les “mercis”, les "ton article m'a presque fait pleurer” ou les “c'est exactement ce que je ressens".
J’ai eu l’impression d’ouvrir les vannes et de voir un flot de colère, de tristesse ou de résignation se déverser.
Savoir que je ne suis pas seule ne m’a pas réellement apaisé tellement je me suis rendue compte du long chemin à parcourir pour que les artistes vieilles (âgées de plus de 34 ans j’entends) ne subissent plus de discriminations lié à l’âge dans le milieu de la musique.
Il n’y a aucun modèle (je dis bien aucun) de FLINTA*1 de plus de 40 ans qui « perce ».
Pourquoi faudrait-il forcément être jeune pour percer et/ou pérenniser sa carrière musicale (sans faire de l’action culturelle ou de la pédagogie) ?
Les mêmes logiques sont en jeu dans la musique indé ou alternative. Plus vous prenez de l’âge, plus c’est compliqué de tout gérer, de faire entendre sa voix ou d’avoir l’énergie d’aller faire des tournées rock’n’roll sans rentrer dans ses frais…
Bref.
Bourdon 🐝
Santé Mentale
Le lendemain de la parution de l’article, j’ai animé un atelier organisé par Les Femmes S’Engagent à Petit Bain “Comment survivre dans le milieu de la musique : discussions de groupe et conseils concrets pour une santé mentale stable”.
C’était fort, beau, émouvant. Il faudrait en faire partout, tout le temps.
Durant l’atelier, l’une des activités que j’ai proposée a été de lister les facteurs qui déstabilisent la santé mentale lorsque de l’artiste et de trouver ensuite des solutions pour chacun.
La liste était immense. J’écrivais sur le tableau de conférences à papier : une page entière de remplie, puis deux, puis trois, puis quatre etc. Vertigineux.
J’inscrivais tellement de facteurs déstabilisants que nous n’avons pas eu assez de temps pour lister assez de solutions.
Même si je suis habituée à ces listages et ces ateliers, j’ai mis plusieurs jours à me remettre émotionnellement de l’atelier.
La prise de conscience de l’immensité et de la généralité du problème me perturbe à chaque fois, même si je me sent moins seule, même si je sais, même si j’ai appris à filtrer.
Bourdon 🐝
Au final, je pense que c’est surtout le fait de participer à un moment en non-mixité sororal et bienveillant qui m’a fait du bien et apparement à fait du bien aux participantes.
Sexisme
Deux semaines après l’atelier, j’ai écouté dans son intégralité la première saison de l’excellent podcast Sisters of Sound créé par l’artiste Mythie et produit par la SMAC2 Le Grand Mix et l’association Mermaids.
Sisters Of Sound est un podcast qui explore la place des femmes dans l'industrie musicale à travers des témoignages inspirants sous la forme d'une enquête réalisée par l'artiste Mythie.
Je connais pas mal de personnes par les interviewées ! J’ai aussi témoigné.
Le podcast est réellement bien ficelé. Les interventions de Mythie sont très intéressantes et enthousiastes. Les épisodes sont concis et à la fois très fournis.
J’ai hâte de découvrir la saison 2 !
Même si, je l’avoue, en écoutant le podcast, le bourdon est revenu 🐝
Tous ces témoignages font écho à des situations que j’ai vécues, dont j’ai été témoin ou que l’on m’a rapportées.
Je me rends compte qu’à notre travail d’artiste déjà compliqué s’ajoute celui de devoir sans cesse chercher et trouver notre mieux-être et notre légitimité.
Il nous faut nous empouvoirer, prendre soin de soi, faire comme si ça ne nous atteignait pas, rembarrer les machos, nous former pour nous sentir légitime, prévenir, s’entraider, casser le plafond de verre, éduquer nos proches, demander des subventions qui rétrécissent toujours ou disparaissent, porter plainte ou passer outre, créer nos groupes de paroles, nos annuaires, nos collectifs et nos réseaux, tout cela avec peu de moyens voir sans, majoritairement bénévolement...
Alors que nos vies de personnes sexisées sont déjà plus dures que celles des personnes qui ne le sont pas.
Alors que ces démarches pour (sur)vivre professionnellement et/ou ces actions militantess coûtent cher en énergie, en temps et en monnaie trébuchante.
N’oubliez pas d’ajouter des bonus de pénibilité pour toutes autres oppressions que vous subissez, c’est cadeau !
Le bourdon s’est transformé en cafard 🪳
Bourdon, cafard et araignée au plafond
Bien que les insectes soient nos ami-es (avez-vous la référence ?), on les utilise pour décrire la déprime et la folie. Pas très sympa pour eux, n’est-ce pas ?
Trois semaines après l’atelier Les Femmes S’Engagent, le cafard enfle, il m’envahit.
Mes 42 ans, mon instabilité financière, mes traumas, ma carrière disons « originale » et ma neuroatypie3 deviennent des fardeaux insurmontables et non pas une richesse, une fierté ou un super pouvoir.
Comme avec la tempête qui a suivi la parution de mon article sur l’âgisme, le trio infernal des émotions négatives entament une valse. Colère, tristesse et fatigue se relaient sur la piste.
Cette fois-ci c’est la fatigue qui l’emporte.
Fatigue de devoir vivre avec mes casseroles, face à la montagnes, dans ce monde-là.
Fatigue d’entendre cette voix intérieure me dire une fois de plus :
- Arrête de te plaindre, c’est pire ailleurs !
- À quoi bon me répéter cela, lui dis-je ? Tu vois bien que ça ne change rien à mon état !
Fatigue de connaître un grand nombre de solutions à nos problèmes de vieilles artistes folles, en vain.
De les lire, les entendre, les tester, les apprécier dans tous ces podcasts, ces conférences, ces discussions, ces visios, ces workshops, ces bootcamps, ces résidences et ces créations pour que l’égalité des genres dans la musique devienne une réalité sans que les choses changent rapidement et améliorent mon quotidien, notre quotidien.
Alors, je pense au long terme et aux nouvelles générations qui bénéficieront du fruit de nos luttes. Et le cafard s’éloigne.
Mais je pense à la montée de l’extrême droite et au réchauffement climatique. Et le cafard revient 🪳
Mon désir de changement m’obsède. Je m’active pour moi et les autres, pour la cause et le futur. Je me démène. Je m’épuise.
Je me sens pressée d’écrire un article sur la santé mentale des artistes alors que ma santé mentale d’artiste est bancale et m’handicape quotidiennement.
Je suis fatiguée de me foutre la pression.
Je suis fatiguée de lutter contre mon inclinaison à me foutre la pression.
On le sait bien, une personne faisant partie d’un groupe discriminé aura plus de chance de souffrir du syndrome de l’imposteur-ice4 et se donnera à 190% pour se sentir légitime et/ou recevoir l’approbation d’autrui.
Je pense notamment aux 2% de batteuses en France qui doivent sans cesse faire leur preuve. Pour exemple, « taper comme une fille » est devenu au fil du temps une expression courante.
Poutrelle. Je veux être flemmard-e.
Et puis à quoi cela sert-il de se reposer, de guérir, d’arrêter de se mettre la pression si, aussitôt que l’on remet un pied dans le milieu artistique, la pression revient ?
À quoi servent la prévention ou la guérison si le milieu de la musique ne change pas radicalement ?
Faut-il vivre pour toujours dans la lutte ?
Je pense à Gaza.
…
🕯️
Que je suis sombre.
Allez. Cherchons la lumière.
Araignée (au plafond) du soir, espoir
Accrochons-nous au petit rayon qui transperce le mur, que dis-je, la muraille.
Faisons de nos failles des forces.
Bienheureux sont les fêlé-es, iels laissent passer la lumière.5
Espoir !
Inspirons profondément, inspirons-nous des réussites des autres et inspirons les autres à notre tour.
AH NON !
Encore et encore ce “travail” d’être un modèle, d’en chercher… Encore un “travail” à faire en plus de celui qui est censé être le nôtre.
Fatigue !
Ma voix intérieure s’en donne à coeur joie :
- Il ne faut pas tant s’en faire ! Tu te noies dans un verre d’eau, voyons. Tu te fatigues toute seule. Tu n’as pas à prendre tout ce poids sur tes épaules !
- Mais même si je m’en allégeais, je serais confrontée aux discriminations. Je cherche des solutions et c'est difficile.
Fatigue. Bourdon. Cafard.
Mon araignée au plafond aimerait prendre le dessus.
Tranquille, je vivrai dans ma toile, mon cocon. J’aurais abdiqué. Je ne chercherai plus à arranger les choses et à tracer mon chemin malgré les embûches. J’attendrai que les choses viennent à moi, si elles daignent venir.
Non.
Je suis fatiguée mais j’ai assez attendue.
Je peux agir doucement, patiemment, à mon rythme, avec d’autres et
avec mon araignée au plafond du soir…
Cherchons !
Je repense au dernier épisode du podcast Sisters of Sound qui parle de sororité.
Je repense à Musiciennes&Co6, à la Table Rectangle7.
Je repense à la Fresque de l’Espoir de l’atelier Les Femmes S’Engagent.
Je repense à cette longue discussion avec Rosa (de Denys Roses et DITTER).
Je repense à mon dernier RDV avec Julie Gam, ma coach.
Je repense à mon coup de fil avec Nahash, pour parler de l’album de VoxAxoV qu’il co-produit.
Je repense à cette chouette brocante que j’ai fait avec ma mère.
Je repense à mon chat.
Nous sommes tellement de choses à la fois.
Je repense à la table ronde au Printemps de Bourges. Mon père sera là. J’ai le trac mais j’ai hâte.
… espoir !
Charlotte, dis-toi aussi que ce n’est pas que grâce aux autres que les bonnes choses viennent à toi. Tu as amené ces choses vers toi pour t’en sortir !
Maintenant
va
dormir !
FLINTA* est une abréviation qui nous vient d’Allemagne et signifie femmes, lesbiennes, personnes intersexuées, non-binaires, trans et agenres. L'astérisque est pour toutes les personnes qui ne se reconnaissent pas comme cisgenres. Source : Wikipedia allemand et post Instagram du collectif Peaches&Witches.
SMAC : acronyme de Scène de musiques actuelles. Label donné par le ministère de la Culture français à des salles de concert adaptées aux musiques actuelles et musiques amplifiées.
La neuroatypie désigne un fonctionnement neurologique ou psychologique qui s’écarte de la norme. À l’inverse, le terme neurotypique (abrégé NT) désigne une personne ayant un fonctionnement neurologique considéré dans la norme, et ne présentant pas une condition neurologique particulière (autisme, trouble psy, TDA...).
Les personnes atteintes du syndrome de l'imposteur, appelé aussi syndrome de l'autodidacte, phénomène de l'imposteur, expérience de l'imposture, expriment une forme de doute maladif qui consiste essentiellement à nier la propriété de tout accomplissement personnel. Ces personnes rejettent donc plus ou moins systématiquement le mérite lié à leur travail et attribuent le succès de leurs entreprises à des éléments qui leur sont extérieurs (la chance, leurs relations, des circonstances particulières). Dans certains cas, la personne atteinte peut aller jusqu'à se percevoir comme une sorte de dupeur-né qui abuse ses collègues, ses amis, ses supérieurs et s'attendre à être démasquée d'un jour à l'autre. S'il est fréquent chez les personnes connaissant une ascension sociale mais qui ont été ou demeurent victimes de mépris de classe, d'autres causes peuvent également engendrer sa survenue.
Source : Wikipedia
Citation apocryphe de Michel Audiard. Une citation apocryphe n’est pas autenthique ou à l’origine douteuse et est attribuée à une personne qui n'a pourtant jamais tenu les propos rapportés, ou alors les a exprimés sous une forme différente.
Pour en savoir plus sur le réseau Musiciennes&Co, lire l’article “Pour des fins de projets heureuses” ICI.
Les Chevalières de la Table Rectangle est un groupe informel créé durant les BIS de Nantes constitué d’artistes et de “pros” suite à des discussions à bâtons rompus ayant eu lieu autour de la table rectangle de l’appartement AirBnB loué par ce même groupe. Ces discussions étaient tellement intéressantes et passionnées que le groupe ratait les tables rondes du BIS de Nantes. Les réunions Table Rectangle se sont transformées en moment de co-working sur Paris : les membres du groupe se réunissent pour travailler chacun-e ou ensemble sur leur booking, leur compta, leur e-mails, en se donnant conseils et encouragements. Malgré les discussions toujours passionnées, la concentration est haute, le travail est fait et le sentiment d’isolement disparaît.
Merci 💜 et courage 🥰